Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 45e Législature
Volume 154, Numéro 37
Le mardi 25 novembre 2025
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- Hommages
- Visiteurs de marque à la tribune
- Guru Tegh Bahadur Ji
- Visiteurs à la tribune
- Les 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe
- Visiteurs à la tribune
- L’organisme Clear Seas
- Le Mois de la sensibilisation aux personnes handicapées autochtones
- Le décès de Bernard Grandmaître, C.M.
- Visiteurs à la tribune
- La boîte à chansons Sullivan’s Songhouse
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Projet de loi modifiant la Loi sur les poids et mesures, la Loi sur l’inspection de l’électricité et du gaz, le Règlement sur les poids et mesures et le Règlement sur l’inspection de l’électricité et du gaz
- La Loi constitutionnelle de 1982
- Projet de loi contre la rétribution du silence
- Projet de loi sur le cadre national sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale
- La Loi sur la concurrence
- La vie de Vernon et Shirley Petten
LE SÉNAT
Le mardi 25 novembre 2025
La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.
Prière.
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, en vertu de l’article 4-3(1) du Règlement, le représentant du gouvernement au Sénat a demandé que la période consacrée aux déclarations des sénateurs soit prolongée aujourd’hui afin que nous puissions rendre hommage à l’honorable Ione Christensen, qui est décédée le 15 septembre 2025.
Je rappelle aux sénateurs que, en vertu du Règlement, chaque intervention ne peut dépasser 3 minutes, qu’aucun sénateur ne peut parler plus d’une fois et qu’ils disposent d’au plus 15 minutes.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Hommages
Le décès de l’honorable Ione Christensen, C.M., O.Y.
L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, c’est avec une profonde tristesse que les Yukonnais ont appris et vécu avec vous le décès d’une ancienne sénatrice du Yukon, l’honorable Ione Christensen.
L’histoire d’Ione Christensen est aussi celle du Yukon. La famille de la mère d’Ione, Martha Ballantine, est arrivée au Yukon pendant la ruée vers l’or, avec dans ses bagages le levain dont je vous reparlerai dans un instant. Ione répétait souvent la même histoire à propos de sa famille : à Dawson City, si on voulait que quelque chose se fasse, il fallait passer par les Ballantine. Sa mère, Martha Ballantine, était infirmière laïque et elle a épousé le père d’Ione, Gordon Irwin Cameron, qui faisait partie de la GRC. Ione a passé ses premières années à Fort Selkirk, au confluent du fleuve Yukon et de la rivière Pelly. Cet ancien lieu de rassemblement et ancien poste de traite historique est aujourd’hui préservé soigneusement et administré conjointement par la Première Nation de Selkirk et le gouvernement du Yukon.
C’est l’attelage de chiens de la jeune Ione qui lui a inculqué son grand amour pour les chiens. Elle en avait besoin, au même titre que de sa carabine de calibre .22 et de son couteau, pour parcourir son terrain de piégeage. Le fait qu’elle traîne un couteau était moins bien vu de la part des autorités de l’école privée de Colombie-Britannique qu’elle fréquentait, et on le lui a rapidement confisqué.
De retour au Yukon, Ione Christensen a exploré le territoire comme seul peut le faire un Yukonnais qui en connaît le caractère et les particularités, quelle que soit la saison. Ione a ouvert beaucoup de portes : elle a été la première juge de paix, la première juge du tribunal de la jeunesse, la première mairesse de Whitehorse, la première commissaire du Yukon et la première femme à représenter le Yukon au Sénat.
Ione a cofondé la Fondation du Yukon, la Wildfire Awareness Society et la Société du syndrome d’alcoolisation fœtale du Yukon et elle a été membre de leur conseil d’administration. On lui a décerné l’Ordre du Canada, et elle a été l’une des premières personnes décorées de l’Ordre du Yukon.
En 1979, elle a démissionné de son poste de commissaire après avoir reçu la fameuse lettre d’Ottawa signée Jake Epp, qui était ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Rick Nielsen, qui partageait le même amour pour l’histoire du Yukon qu’Ione, a expliqué pourquoi Ione avait démissionné. Il ne s’agissait pas d’une divergence de vues par rapport à l’évolution politique du Yukon, mais d’une question de principe. En fait, il y avait une erreur dans la lettre d’Ottawa. Ce n’est d’ailleurs pas la seule fois où c’est arrivé. Cette erreur a été corrigée par la suite. Sa démission découlait d’une question de principe et elle était dès lors inévitable.
La célèbre photo de la piste Chilkoot, qui mène aux champs aurifères de Dawson, montre un sentier difficile qui est cogéré aujourd’hui par Parcs Canada et le Service des parcs nationaux des États-Unis. À l’occasion du 100e anniversaire de la ruée vers l’or, à l’été 1996, Ione a réussi à convaincre les gouvernements — le pouvoir de persuasion des Ballantine, sans doute — de lui permettre, à elle et à quelques amis, d’installer une cabane pour offrir, cet été-là, la fameuse crêpe au levain du Yukon aux randonneurs ayant réussi à parcourir le sentier.
Voilà comment était Ione. Elle a elle-même parcouru le sentier à 21 reprises. Je cite ici sa co-cuisinière cet été-là, Pat McKenna :
Ione, ton esprit sera à jamais dans le ciel du Nord du Yukon, dans le vent qui fait bruisser les arbres et au-dessus des terres et des lacs que tu chérissais tant.
Nous offrons nos plus sincères condoléances à la famille d’Ione : Philip, Paul, Michelle, Kate et son petit-fils Harry. Mes compatriotes yukonnais et moi-même serons toujours fiers du nombre de portes qu’Ione a réussi à ouvrir.
Shä̀w níthän. Mahsi’cho. Gùnáłchîsh.
Merci.
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’aimerais aujourd’hui rendre hommage à une ancienne sénatrice et à une grande Canadienne, feu l’honorable Ione Christensen.
Ione Christensen est née à Dawson Creek, qui est située dans la province d’où je viens, la Colombie-Britannique. Sa famille et elle se sont ensuite installées à Whitehorse, au Yukon, où elle a grandi et où elle a entamé sa longue carrière dans le secteur public.
Leader, femme d’affaires, fonctionnaire de l’État et militante, Ione faisait tomber tous les obstacles sur son passage : elle a été la première femme juge de paix du Yukon, la première juge du tribunal de la jeunesse, la première mairesse de Whitehorse — après avoir battu sept candidats masculins — et elle a été la première commissaire du Yukon. Elle fut une véritable pionnière, et son courage a ouvert des portes pour les générations de femmes qui la suivront.
En 1999, elle est devenue la première femme à représenter le Yukon au Sénat du Canada. Une autre première. Pendant son passage ici, elle a continué à défendre les gens de sa région et les Canadiens en général, en plus de siéger à divers comités, dont le Comité des peuples autochtones, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
Feu l’honorable Ione Christensen était une figure aimée et respectée du Yukon, comme a su l’exprimer le premier ministre Mike Pemberton dans la déclaration officielle qu’il a publiée le 16 septembre 2025 :
Au cours de sa longue vie, Ione a fait tomber les barrières dans les domaines de la politique, de la justice et de la fonction publique. Elle a ouvert des portes, inspiré d’innombrables Yukonnais et Yukonnaises et démontré le pouvoir de la gentillesse, du travail acharné et du courage. Le Yukon en ressort grandi.
Le maire Kirk Cameron de Whitehorse a publié la déclaration suivante :
Le Yukon est réputé pour être un lieu hors du commun, et Mme Christensen a incarné cet esprit dans sa vie et son œuvre.
Au-delà de ses nombreuses réussites et distinctions professionnelles, Ione était une personne chaleureuse, joyeuse et compatissante qui aimait le Nord et ses habitants. Reconnue pour son engagement communautaire et sa générosité, elle a contribué à faire de notre ville un endroit meilleur tout au long de sa vie.
On se souvient de l’honorable Ione Christensen pour son leadership, son courage et son service inlassable. Elle a ouvert la voie aux femmes dans la vie publique et a laissé une marque indélébile sur le Yukon et le Canada. C’est avec beaucoup de respect que nous nous souvenons d’elle et lui rendons hommage aujourd’hui. Au nom du caucus conservateur, l’opposition officielle au Sénat, j’offre mes sincères condoléances à sa famille, à ses amis et à sa communauté. Qu’elle repose éternellement en paix et que son héritage demeure bien vivant dans le cœur de ceux qu’elle a su inspirer.
L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à l’ancienne sénatrice Ione Christensen.
(1410)
La sénatrice Christensen nous a malheureusement quittés le 15 septembre dernier à l’âge de 91 ans. Elle a siégé dans cette enceinte de 1999 à 2006, année où elle a pris sa retraite pour prendre soin de son mari, Arthur, qui est hélas décédé en 2020. C’est dire combien c’était une personne bienveillante.
Je ne l’ai pas côtoyée longtemps au Sénat. Seuls le sénateur Downe et moi-même avons eu cet honneur, je crois, mais le temps passé avec elle au Sénat m’a marquée pour la vie, et je chérirai toujours mes souvenirs de cette époque. Elle était vraiment extraordinaire et elle a eu un parcours de vie incroyable : une vie consacrée aux gens du Yukon, au service de la population, une vie de perpétuels accomplissements. À n’en pas douter, elle a très souvent fait figure de pionnière.
En 1971, elle est devenue la première juge de paix et la première juge du tribunal de la jeunesse du Yukon. En 1975, elle s’est présentée à la mairie de Whitehorse aux côtés de sept candidats masculins. Elle a remporté les élections, qui ont fait d’elle la première mairesse de la ville. En 1979, elle est devenue la première femme commissaire du Yukon, puis, en 1999, la première sénatrice de ce territoire.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a été une précurseure et un véritable modèle au sein du mouvement pour l’égalité des femmes dans les gouvernements et les institutions fédéraux, provinciaux et territoriaux. La sénatrice Christensen a énormément contribué à la réussite des femmes au Yukon, au Sénat et dans l’ensemble du Canada.
Ione était une femme au physique imposant, mais elle demeurait toujours calme et souriante, surtout dans des situations stressantes. Elle faisait les meilleurs câlins, ce qui montrait aussi sa personnalité affectueuse. Par ailleurs, elle était très respectée par ses collègues de toutes les allégeances. Il n’y a pas de mots assez forts pour rendre hommage à une telle personne, mais nous pouvons nous efforcer de l’honorer en continuant de respecter les normes les plus élevées en matière de service public comme elle le faisait. Je me souviendrai toujours avec tendresse d’elle et de la façon dont elle défendait ses causes avec détermination et grâce.
Au nom du Groupe des sénateurs indépendants et du Sénat, ainsi qu’en mon nom personnel, j’offre mes plus sincères condoléances à sa famille. Je vous aime, Ione.
L’honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, je suis heureux, moi aussi, de prendre la parole pour rendre hommage à notre ancienne collègue Ione Christensen. Tout comme la sénatrice Ringuette, je fais partie de l’association des anciens membres du caucus libéral du Sénat, dont la sénatrice Christensen était une membre estimée.
Chers collègues, je commencerai par donner un petit conseil à tous les sénateurs : soyez gentils avec les jeunes sénateurs. Ce sont eux qui vous rendront hommage lorsque vous quitterez ce monde. À l’époque où la sénatrice Christensen et moi avons travaillé ensemble, j’étais beaucoup plus jeune qu’elle.
La sénatrice Christensen a été la première femme nommée sénatrice pour le Yukon et elle était la seule sénatrice originaire de ce territoire. À ce titre, elle accordait une attention toute particulière au Yukon. Elle a représenté cette région pendant sept ans au Sénat, mais, comme d’autres l’ont mentionné, elle avait déjà une carrière remarquable bien avant cela. En consultant son CV il y a de nombreuses années, j’ai été frappé par le nombre d’activités auxquelles elle avait participé, à une époque où il était très difficile pour les femmes d’obtenir la notoriété qu’elle avait acquise.
D’autres ont évoqué sa candidature à la mairie contre sept hommes et son poste de commissaire du Yukon. Elle a également été agente de développement économique des Premières Nations et a assumé de nombreuses autres responsabilités au cours des années où elle a travaillé au Yukon.
J’ai rencontré la sénatrice Christensen longtemps avant d’arriver au Sénat. À l’époque, je faisais partie du Cabinet du premier ministre, et ce dernier cherchait quelqu’un pour représenter le Yukon au Sénat; il m’a donc demandé de me rendre sur place pour rencontrer la sénatrice Christensen. Il m’avait également demandé de rencontrer la future sénatrice Cordy. Il n’y avait personne d’autre. Je me suis donc rendu au domicile de la sénatrice Christensen, à Whitehorse, où elle nous a servi le thé. Nous avons eu une discussion fort agréable. Il va sans dire que j’avais lu son très impressionnant curriculum vitæ, où il était écrit, entre autres réalisations, qu’on lui avait décerné l’Ordre du Canada. J’ai rendu compte de mon voyage au premier ministre, il l’a appelée, et elle a été nommée.
Comme je le disais, elle s’intéressait par-dessus tout au Yukon, qui était sa responsabilité. Imaginez ce que c’est de représenter un coin de pays, comme le fait la sénatrice Duncan, dont vous êtes le seul sénateur, la seule sénatrice. C’est à vous que reviennent toutes les responsabilités. Il n’y a personne avec qui les partager. Pendant son passage à Ottawa, Ione Christensen s’est occupée de dossiers chers à sa région, comme l’approvisionnement en eau, le réchauffement planétaire et le sort des jeunes autochtones en milieu urbain. Elle travaillait très fort et elle était consciencieuse. Elle a très bien servi ses concitoyens.
J’imagine que le point culminant de sa carrière, en plus d’avoir contribué à l’obtention des Jeux d’hiver, en 2007, est le moment où elle a parrainé la Loi sur le Yukon, qui revêtait une importance capitale pour les habitants de sa région.
J’offre mes plus sincères condoléances à sa famille. Ce fut un plaisir de servir notre pays à ses côtés pendant toutes ces années.
L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au nom du Groupe progressiste du Sénat pour rendre hommage à feu l’honorable Ione Christensen.
Son décès en septembre a déjà inspiré d’innombrables hommages, en particulier de la part de ses concitoyens du Yukon, qui ont été les témoins directs de l’impact de l’œuvre de sa vie. Je remercie notre collègue, la sénatrice Duncan, pour ses paroles célébrant les contributions considérables de la sénatrice Christensen à leur territoire.
Lorsqu’elle a été présentée pour la première fois dans cette enceinte, l’honorable Alisdair Graham a déclaré ce qui suit :
En songeant à la nomination de madame le sénateur Christensen, nous ne pouvons oublier que le Nord représente pour nous, Canadiens, un grand défi et une grande aventure. Le Yukon est vraiment une terre mystérieuse et magique. Ione nous apporte une compréhension de ce mystère insondable, d’une magie inégalée.
Il est clair que la sénatrice Christensen n’a jamais perdu ce lien avec sa terre. En fait, j’ai entendu dire qu’elle avait l’habitude d’offrir un peu de la magie du Yukon à certains de ses collègues sénateurs. Apparemment, elle s’arrangeait pour ramener chez elle leur épinglette rouge du Sénat et, lorsqu’elle revenait à Ottawa avec l’épinglette, celle-ci était nouvellement embellie d’un peu d’or du Yukon. Quelle belle façon de rappeler à ses collègues de valoriser les contributions de son territoire.
Comme nous l’avons entendu, la sénatrice Christensen était l’incarnation même d’une pionnière. On lui doit plusieurs premières réalisations importantes qui ont ouvert des portes et éliminé des obstacles pour des générations de femmes et grâce auxquelles elle s’est fait un nom tant au Yukon que dans le reste du pays.
Elle s’est même fait un nom à l’échelle internationale. Les personnes qui visitent la bibliothèque internationale de levains, que ce soit en Belgique ou virtuellement, en ligne, y découvrent que la sénatrice Christensen a fait don d’un levain qui était dans sa famille depuis au moins 1898 et qui avait accompagné son arrière-grand-père dans son voyage du Nouveau-Brunswick aux gisements aurifères du Klondike. Elle est réputée pour avoir préparé avec ce levain des gaufres du dimanche matin à la yukonnaise. Je ne doute pas que son héritage perdurera, comme en témoignent les propos que nous avons entendus aujourd’hui.
Au nom du Groupe progressiste du Sénat, je présente mes sincères condoléances à la famille et aux amis de feu l’honorable Ione Christensen. Wela’lin. Merci.
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous demanderais de bien vouloir vous lever et de vous joindre à moi pour observer une minute de silence.
(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)
(1420)
[Français]
Visiteurs de marque à la tribune
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de notre ancienne collègue l’honorable Mobina S. B. Jaffer, accompagnée de son mari, Nuralla Jeraj. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Saint-Germain.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je suis heureuse de vous revoir au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
[Traduction]
Guru Tegh Bahadur Ji
L’anniversaire du martyre
L’honorable Baltej S. Dhillon : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole pour souligner le 350e anniversaire du martyre de Guru Tegh Bahadur Ji, le neuvième gourou de la religion sikh, dont la défense de la dignité humaine reste l’une des plus marquantes de l’histoire. Le 24 novembre, des sikhs et des non-sikhs du monde entier se sont réunis pour honorer ses enseignements, se souvenir de son sacrifice et renouveler leur engagement à perpétuer son héritage.
Au XVIIe siècle, les pandits cachemiris, une communauté d’érudits et d’enseignants hindous qui vivaient dans la vallée du Cachemire depuis des générations, ont été victimes de graves persécutions de la part du régime de l’époque. On leur a lancé un ultimatum déchirant : renoncer à leur foi et quitter leur terre natale ou mourir. Sans protection et sans endroit sûr où aller, ils ont voyagé pour demander l’aide de Guru Tegh Bahadur Ji.
Leur requête était simple et universelle : ils demandaient le droit de croire sans crainte et la liberté de vivre selon leur identité, des valeurs qui nous sont familières ici au Canada. Elles sont inscrites dans la Constitution et dans la Charte des droits et libertés.
Le gourou Tegh Bahadur Ji a choisi de défendre ces gens, même s’ils n’étaient pas de la même origine que lui. Il a défendu les tenants d’une autre tradition parce qu’il estimait qu’aucune autorité ne peut forcer une personne à renoncer à sa conscience. Pour avoir refusé de se soumettre, il a été exécuté en public en 1675 en même temps que ses trois compagnons. Son sacrifice demeure l’un des plus grands actes de courage pour la défense des libertés personnelles et droits de la personne que le monde aie jamais vu.
Sa mémoire continue de guider les sikhs et les non-sikhs de partout dans le monde. Il nous a enseigné que la justice doit protéger les plus vulnérables. Il a montré que le courage n’est pas seulement physique, qu’il peut aussi être moral : le courage de défendre ce qui est juste, même quand le prix à payer est élevé. Il nous a également rappelé que la dignité est l’affaire de tous, quelles que soient nos croyances ou nos origines.
Aujourd’hui, alors que le Canada est aux prises avec une montée de l’intolérance et des divisions, son exemple nous dit que nous devons tenir bon. Défendre les droits des autres, surtout si ces autres sont différents, renforce les fondements mêmes de la démocratie.
Alors que nous soulignons aujourd’hui le martyre du gourou Tegh Bahadur Ji, rappelons-nous ces principes. Les sénateurs que nous sommes ont la responsabilité unique de défendre et de protéger tous leurs semblables, surtout les plus vulnérables et les plus sous-représentés de la société. Tâchons de faire du Canada un pays où personne ne craint pour son identité, où la diversité est chérie et où la défense de la justice demeure une responsabilité collective.
Honorables sénateurs, la vie du gourou Tegh Bahadur Ji nous rappelle qu’un seul acte de courage peut illuminer le chemin de générations. Dans l’esprit de chardi kala, toujours. Je vous remercie.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Jeff Brown, Keldon Bester, Lawson Hunter et Brian Laghi. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Klyne.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Les 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe
L’honorable Krista Ross : Honorables sénateurs, je prends la parole pour souligner les 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe, qui englobent la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes au Canada, au cours de laquelle nous rendons hommage aux 14 femmes tuées lors du massacre de l’École Polytechnique le 6 décembre, et qui se terminent le 10 décembre, Journée des droits de la personne.
Cette campagne est l’occasion nécessaire de réfléchir, de sensibiliser les gens et de militer pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe au Canada et dans le monde entier. La violence envers les femmes et les filles reste l’une des crises les plus répandues en matière de droits de la personne à notre époque. À l’échelle mondiale, près d’une femme sur trois sera victime d’une forme de violence fondée sur le sexe au cours de sa vie. Pourtant, ces formes de violence restent trop souvent cachées et taboues, car les femmes et les filles risquent d’être stigmatisées ou de ne pas être crues.
Ce problème reste très présent chez nous. Au Canada, toutes les 48 heures, une femme ou une fille est tuée dans un acte de violence fondée sur le sexe. En 2023, plus de 123 000 cas de violence entre partenaires intimes ont été signalés à la police au Canada. Dans 78 % de ces cas, les victimes étaient des femmes. Toutefois, il faut se rappeler que les statistiques ne sont pas que des chiffres. Elles représentent des mères, des filles, des sœurs, des amies et des membres de nos collectivités dont la vie a été bouleversée à jamais.
De nombreux facteurs contribuent à l’augmentation du risque de violence fondée sur le sexe, notamment les inégalités systémiques, l’insécurité économique, la discrimination et les normes sociales qui perpétuent les préjudices. Nous devons également reconnaître la menace croissante que représente la violence facilitée par le numérique et la technologie, qui expose les femmes et les filles à du harcèlement en ligne, à des menaces et à un contrôle coercitif pouvant les suivre dans tous les aspects de leur vie.
Des progrès sont réalisés, mais à un rythme extrêmement lent. Cette campagne est l’occasion non seulement de réfléchir à ces réalités, mais aussi de nous engager à agir. Elle nous rappelle que la violence à l’égard des femmes constitue une menace pour notre société, notre sécurité et notre avenir commun.
Au cours de cette campagne et tout au long de l’année, j’invite chacun à sensibiliser le public aux risques auxquels sont confrontées les femmes et les filles dans notre pays et dans le monde entier. Il est de notre responsabilité collective de bâtir des communautés plus sûres, de promouvoir la prévention, de soutenir les survivantes et de défendre les initiatives qui favorisent l’éducation, la responsabilisation et le changement. Merci. Wela’lin.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Serge Le Guellec, président du conseil d’administration de Clear Seas. Il est accompagné d’autres membres du conseil d’administration. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Wilson.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
[Français]
L’organisme Clear Seas
L’honorable Duncan Wilson : Honorables sénateurs et sénatrices, j’aimerais vous parler aujourd’hui d’un organisme d’une importance capitale pour la diversification commerciale du Canada. Cet organisme, qui s’appelle Clear Seas, est né d’une mission d’étude en Norvège que j’ai eu le privilège de diriger dans le cadre de mes fonctions à l’Administration portuaire Vancouver-Fraser. À cette époque, les débats tumultueux sur les grands pipelines faisaient rage. Nous avons réuni des représentants des Premières Nations, de l’industrie et des gouvernements afin d’avoir une perspective globale sur les pratiques à suivre dans le domaine de la sécurité des pétroliers, de la prévention des déversements et des interventions en cas de catastrophe.
[Traduction]
Nous nous sommes rendus ensemble en Norvège afin de mieux comprendre les pratiques de pointe de ce pays en la matière. En réunissant des intérêts divers — et parfois opposés — et en leur présentant les mêmes informations, nous avons réussi à dégager des perspectives communes quant à ce que pourraient être les pratiques exemplaires. Cela ne concernait pas seulement le cas d’un projet d’extension de pipeline, mais aussi la nécessité d’être mieux équipés pour faire face aux déversements provenant des activités maritimes existantes le long des côtes.
De ce voyage et de cette expérience sociale est née l’idée d’où a germé Clear Seas. Clear Seas est un organisme canadien sans but lucratif qui fournit des informations basées sur des faits pour permettre aux gouvernements, à l’industrie et au public de prendre des décisions éclairées sur les questions liées au transport maritime. Clear Seas comble les lacunes dans les connaissances et renforce les capacités dans un secteur important de l’économie canadienne et mondiale. Il mise pour ce faire sur des programmes complets de recherche, de communication et de perfectionnement du personnel, y compris la recherche menée par les Autochtones et le perfectionnement axé sur les Autochtones.
(1430)
Comme lors de la mission d’étude d’origine, en Norvège, Clear Seas est dirigé par un conseil d’administration diversifié et chevronné qui est composé de représentants des Premières Nations, du secteur public, des administrations portuaires, du milieu scientifique et des industries maritimes.
Chers collègues, je vous invite à vous joindre à vos collègues parlementaires ainsi qu’aux fonctionnaires et aux représentants de l’industrie qui seront présents ce soir dans le salon des sénateurs pour rencontrer le personnel et les membres du conseil d’administration de Clear Seas, souligner le 10e anniversaire de l’organisme et en apprendre plus sur tout ce qu’il fait.
Le commerce maritime international est le seul moyen de diversifier concrètement les partenariats commerciaux du Canada. Nous avons besoin d’un réseau de transport maritime sûr et durable pour que les investissements dans les grands projets d’infrastructure produisent les résultats attendus. Pour ce faire, les Canadiens et les décideurs du pays ont absolument besoin d’information et de recherches de qualité.
Hay ce:p qa‘. Meegwetch. Merci.
Le Mois de la sensibilisation aux personnes handicapées autochtones
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’être la porte-parole d’Indigenous Disability Canada et de la British Columbia Aboriginal Network Disability Society et de souligner aujourd’hui le Mois de la sensibilisation aux personnes handicapées autochtones. Ce mois a été créé dans le but de reconnaître, de soutenir et de célébrer la vie des Autochtones vivant avec des capacités différentes.
Dernièrement, j’ai eu le privilège de participer au projet Voices of Inclusion, d’Indigenous Disability Canada. Cette initiative réunit des Aînés et des gardiens du savoir pour discuter des limitations fonctionnelles du point de vue des Autochtones, qui estiment que toutes les personnes qui voient le jour sont là pour une raison et que tout le monde est important.
Aujourd’hui, plus du tiers des Autochtones du Canada vivent avec un handicap, pourtant les membres de ce groupe demeurent parmi les plus négligés et les moins bien servis du pays. Ils doivent surmonter des obstacles qui n’ont rien à voir avec eux, qu’il s’agisse d’obstacles créés par les politiques coloniales, de systèmes inaccessibles ou de milieux de vie qui ne tiennent pas compte de leur réalité. Pourtant, ils continuent d’afficher la force, la résilience et l’espoir qui font avancer leur famille et leur communauté.
Ils méritent de se sentir soutenus par le Sénat. De notre côté, nous avons la responsabilité de profiter de nos fonctions pour favoriser la création de programmes, de services et de milieux entièrement exempts d’obstacles. Le sort des personnes handicapées autochtones n’a rien de partisan, c’est une question de justice, d’équité et de dignité humaine.
Comme je le disais dans l’entrevue que j’ai donnée pour le projet Voices of Inclusion :
Notre travail doit tenant compte des facteurs d’identité croisés. Qu’il soit question de santé, d’environnement ou de lois, nous devons tenir compte des répercussions sur les personnes vivant avec des capacités différentes. Les gens ont le droit de nous rencontrer dans un endroit où ils se sentent en sécurité et où leurs voix dictent les solutions, pas à un endroit où les décisions sont prises à leur place.
À l’occasion du Mois de la sensibilisation aux personnes handicapées autochtones, je vous invite à vous joindre à moi pour honorer la résilience, la beauté et la force des personnes handicapées autochtones et pour reconnaître leur vaste et immense contribution à la population et à la société canadiennes.
Merci. Kinanâskomitinawow.
[Français]
Le décès de Bernard Grandmaître, C.M.
L’honorable Lucie Moncion : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un grand homme politique qui a consacré sa vie et sa carrière à l’avancement et à la défense de la francophonie ontarienne. L’honorable Bernard Grandmaître, Franco-Ontarien d’exception, s’est éteint le 28 octobre dernier à l’Hôpital Montfort à l’âge de 92 ans. J’ai assisté à son service funéraire ce matin à 11 heures à l’église Notre-Dame-de-Lourdes de Vanier.
Bernard Grandmaître est originaire d’Eastview, maintenant connu sous le nom de Vanier, dans la région d’Ottawa. Il s’est rapidement engagé dans la vie politique municipale, d’abord à titre d’échevin de la Ville de Vanier de 1969 à 1974.
En 1974, il devient maire de Vanier et le restera pendant près de 10 ans. Il fait officiellement le saut en politique provinciale en 1984 en tant que député d’Ottawa-Est. Il s’intègre alors à un milieu dominé par l’anglais comme ministre délégué aux Affaires francophones dans le gouvernement libéral de David Peterson. Au cours de sa carrière en politique provinciale, il sera ministre des Affaires municipales, puis ministre du Revenu.
À titre de ministre délégué aux Affaires francophones, il se distingue par son rôle déterminant dans l’adoption de la Loi sur les services en français en 1986, laquelle a profondément transformé le paysage linguistique de la province. Sa contribution est d’une telle importance qu’on le surnomme le « père de la Loi sur les services en français ». Cette loi a fourni des assises juridiques et institutionnelles à une francophonie jusque-là fragile, tout en consolidant reconnaissance et protection des droits des francophones en Ontario. Entrée en vigueur le 19 novembre 1989, la loi stipulait que le gouvernement de l’Ontario ainsi que ses prestataires doivent offrir des services en français dans 25 régions désignées.
L’adoption de cette loi s’inscrivait également dans un effort d’unification nationale à une époque où le pays était divisé et où le Québec poursuivait sa quête d’indépendance. C’était d’ailleurs une mission que lui avait confiée le premier ministre libéral et francophile David Peterson.
L’honorable Bernard Grandmaître a reçu de nombreuses distinctions en reconnaissance de son parcours exceptionnel et de sa contribution à la francophonie. Il s’est vu décerner deux doctorats honorifiques et il a été décoré de l’Ordre de la pléiade et de l’Ordre du Canada. Un aréna de Vanier ainsi qu’une école élémentaire catholique d’Ottawa portent son nom. Remis annuellement par l’Association des communautés francophones d’Ottawa, le prix Bernard Grandmaître vise à souligner l’apport remarquable d’un individu à la francophonie ottavienne.
L’honorable Bernard Grandmaître était un homme de valeurs et de principes dont l’intégrité et la détermination ont guidé toute sa vie et sa carrière. À l’image de son engagement, il a surpassé les attentes affrontant l’adversité avec courage, persévérance et détermination. La francophonie ontarienne pleure son départ, mais son souvenir demeure bien vivant. Ses contributions bien tangibles continuent de faire rayonner la francophonie dans tout le pays.
Il laisse derrière lui sa famille, ses fils, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants, ses amis ainsi que tous ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer dans un contexte professionnel. Ils ont pu constater sa grandeur d’âme et son esprit vif.
Son héritage marqué par l’engagement, la résilience et la passion pour la francophonie continuera d’inspirer et de guider les générations futures. Bernard Grandmaître restera à jamais une figure emblématique dont la mémoire vivra dans le cœur des Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens.
Merci.
Des voix : Bravo!
[Traduction]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du frère de la sénatrice Petten, Ross, et de son fils Jason, ainsi que des sœurs de la sénatrice Petten, Ina, Ivy et Leverna, accompagnées de leurs conjoints. Ils sont les invités des honorables sénateurs Petten et Manning.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
La boîte à chansons Sullivan’s Songhouse
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de vous présenter le chapitre 97 de « Notre histoire ».
Comme vous êtes nombreux à le savoir, une part incroyable de l’histoire et de la culture de Terre-Neuve-et-Labrador se transmet de génération en génération et est diffusée de par le monde grâce à nos chansons et à nos récits. Quiconque chercherait à s’immerger dans la culture irlandaise n’aurait qu’à faire un petit bout de chemin hors de la capitale, St. John’s, et à se rendre dans ce qu’on appelle la côte sud de la province, un endroit où les traditions irlandaises sont inscrites dans l’ADN des habitants.
Sean Sullivan a grandi dans le petit village de pêche de Calvert, et il a appris très jeune à chanter, à jouer d’un instrument et à divertir son public, que ce soit au centre communautaire ou autour de la table de cuisine.
Après sa retraite, Sean voulait réaliser un rêve qui l’habitait depuis des années, c’est-à-dire transformer la vieille maison saltbox qu’un voisin lui avait léguée en un endroit où réunir musique et amis. Il en a parlé à sa femme Angie, qui lui a répondu que c’était déjà une boîte à chansons, alors aussi bien officialiser la chose.
C’est ainsi que, le 9 août 2017, la boîte à chansons Sullivan’s Songhouse a ouvert ses portes. Depuis, Sean et Angie accueillent des gens de partout dans la province, d’ailleurs au Canada et de nombreux pays, dont la Türkiye, l’Iran, le Danemark, les États-Unis et j’en passe. Si vous voulez savoir ce que les gens pensent de leur passage à la boîte à chansons de Sean Sullivan, je vous invite à consulter Tripadvisor.
(1440)
Pour bien résumer l’expérience unique que vivent les visiteurs de l’endroit, j’aimerais vous lire le récit intitulé La maison des chansons, écrit par Harry Ingram, d’Arnold’s Cove, à Terre-Neuve-et-Labrador :
Si tu veux oublier les ennuis de la vie citadine,
Je connais un lieu secret qui te redonnera bonne mine,
Te réchauffera le cœur et te remettra d’aplomb.
Va près de la côte, à la maison des chansons.
Les gens t’y accueilleront en te serrant dans leurs bras.
Après un léger repas, la musique commencera.
Tu verras alors quelque chose de fantastique.
Chacun va chercher son instrument de musique
Sous l’œil bienveillant du barde, qui entonne le premier chant.
Tous chantent avec lui ou écoutent attentivement
L’air de Grey Foggy Day, qui ne manque pas de charme,
Puis une chanson sur les pêcheurs de Joe Batt’s Arm.
Ensuite, tour à tour, chacun prend le relais
Pour chanter une chanson où jouer l’air qui lui plaît,
Au banjo, au violon, même à la mandoline, pourquoi pas?
Ceux qui ne savent pas chanter raconteront un récit ou deux, voire trois.
Ces histoires fabuleuses, ces airs nouveaux ou inédits,
Des plus drôles aux plus émouvants, sauront t’égayer sans contredit.
Quant à la charmante hôtesse, elle se fera un devoir
De veiller à ce que tu aies toujours de quoi manger ou boire.
Partout dans l’assemblée, on peut se mettre à danser.
Tant de gaieté et de bonté ne peuvent que te combler.
Comme pour toute bonne chose, il y aura une fin,
Mais tu n’oublieras pas de sitôt toute cette musique, tous ces copains
Qui te diront adieu avec d’autres étreintes et en souriant.
Comme le doux souvenir des veillées d’antan,
C’est difficile à décrire, mais je comparerais cela
À une couverture bien chaude en hiver, par un jour de grand froid.
Alors si tu veux oublier les ennuis de la vie citadine,
Souviens-toi de ce lieu secret qui te redonnera bonne mine,
Va près de la côte avec ton épouse ou ton époux.
À la maison des chansons Sullivan, vous serez toujours comme chez vous.
Il s’agit en effet d’un autre joyau du secteur touristique de Terre-Neuve-et-Labrador, mais je vous conseille de ne pas tarder à faire vos réservations par téléphone, car la Sullivan’s Songhouse est devenue une destination très populaire.
Merci.
AFFAIRES COURANTES
La Loi sur les Indiens
Projet de loi modificatif—Présentation du premier rapport du Comité des peuples autochtones
L’honorable Margo Greenwood : Honorables sénateurs, au nom de la sénatrice Audette, j’ai l’honneur de présenter, dans les deux langues officielles, le premier rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui porte sur le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 437.)
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?
(Sur la motion de la sénatrice Greenwood, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
Règlement, procédure et droits du Parlement
Présentation du premier rapport du comité
L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de présenter, dans les deux langues officielles, le premier rapport du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, intitulé Recommandations sur la période des questions avec un ministre.
(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 449.)
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?
(Sur la motion du sénateur Harder, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2025
Préavis de motion tendant à autoriser certains comités à étudier la teneur du projet de loi
L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle :
1.conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier la teneur complète du projet de loi C-15, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 novembre 2025, déposé à la Chambre des communes le 18 novembre 2025, avant que ce projet de loi soit soumis au Sénat;
2.de plus, les comités suivants soient individuellement autorisés à examiner la teneur des éléments suivants du projet de loi C-15 :
a)le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts : les éléments de la section 8 de la partie 5;
b)le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie : les éléments des sections 4, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 22, 23, 37, 39, 43 et 45 de la partie 5;
c)le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles : les éléments des sections 32, 40, 41 et 42 de la partie 5;
d)le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans : les éléments de la section 33 de la partie 5;
e)le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international : les éléments des sections 18 et 27 de la partie 5;
f)le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones : la partie 4 et les éléments de la section 35 de la partie 5;
g)le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles : les éléments des sections 30 et 31 de la partie 5;
h)le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants : les éléments des sections 19, 20 et 21 de la partie 5;
i)le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie : les éléments des sections 25, 36 et 44 de la partie 5;
j)le Comité sénatorial permanent des transports et des communications : les éléments des sections 1, 2, 24, 28 et 29 de la partie 5;
3.chacun des comités indiqués au point 2, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-15 :
a)soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 13 février 2026;
b)soit autorisé à déposer son rapport auprès de la greffière du Sénat si le Sénat ne siège pas à ce moment-là;
4.au fur et à mesure que les rapports des comités autorisés à examiner la teneur d’éléments particuliers du projet de loi C-15 sont déposés au Sénat, ils soient inscrits à l’ordre du jour pour étude à la prochaine séance, à condition que si un rapport est déposé auprès de la greffière, l’étude de ce rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la séance qui suit celle où le dépôt est consigné aux Journaux du Sénat;
5.le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à prendre en considération les rapports déposés conformément au point numéro 3 au cours de son examen de la teneur complète du projet de loi C-15;
6.le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à déposer son rapport auprès de la greffière si le Sénat ne siège pas à ce moment-là.
(1450)
[Français]
PÉRIODE DES QUESTIONS
Les finances
La croissance économique
L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Sénateur Moreau, la Banque du Canada a annoncé que le Canada se trouve actuellement pris dans un cercle vicieux de faible productivité qui rend les Canadiens plus pauvres et notre économie plus faible. Nicolas Vincent, sous-gouverneur externe à la Banque du Canada, dénonce directement le bilan de votre gouvernement : réglementation excessive, délais d’approbation trop longs et manque de concurrence dans des secteurs clés. Ce n’est pas une surprise : quand un gouvernement réglemente et taxe trop et quand il fait perdre confiance aux entreprises, voilà le résultat.
Sénateur Moreau, après 10 ans au pouvoir, pourquoi votre gouvernement n’a-t-il pas réussi à créer un climat d’investissement et des conditions favorables à une vraie croissance économique?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. Je rappelais la semaine dernière à la période des questions qu’un nouveau gouvernement avait été élu en avril dernier et qu’il avait déposé comme premier projet de loi un projet de loi visant à promouvoir de grands projets pour justement réduire les difficultés inhérentes à la mise en œuvre de ces grands projets.
Je crois que le gouvernement est tout à fait conscient de l’importance d’accélérer les projets, d’investir dans l’économie, d’investir davantage et de dépenser moins, afin de faire en sorte que l’économie canadienne puisse progresser, augmenter le financement en matière d’infrastructures et de logements abordables et créer des emplois pour tous les Canadiens dans tous les secteurs d’activité.
Ce que l’on doit comprendre sur la Banque du Canada, c’est qu’elle est effectivement un chien de garde de l’économie, mais que le gouvernement est très conscient de ses obligations et de l’orientation qu’il doit prendre.
Le sénateur Housakos : C’est l’ancien gouvernement libéral avec un nouveau premier ministre, mais c’est le même résultat.
Monsieur le leader, la décision de la compagnie Nutrien de déplacer des milliards de dollars aux États-Unis montre clairement ce que les investisseurs pensent du climat d’affaires au Canada. Les Canadiens ne peuvent plus se permettre d’entendre de belles paroles; ils ont plutôt besoin d’action. Est-ce que le premier ministre veut vraiment bâtir une économie plus compétitive et abordable, ou est-il si indifférent à ce qui semble être la réparation de nos relations commerciales avec les États-Unis?
Le sénateur Moreau : Le nouveau gouvernement libéral a remplacé l’ancien gouvernement libéral, et c’est le jugement que les Canadiens ont rendu lors des dernières élections, sénateur Housakos. Je comprends que ce résultat ne vous plaise pas, mais c’est la décision démocratique des Canadiens.
Le gouvernement est engagé à faire en sorte que l’économie du Canada soit forte et résiliente, et c’est la raison pour laquelle ce gouvernement, tous ses ministères et le premier ministre déploient autant d’efforts.
Les compressions dans la fonction publique
L’honorable Claude Carignan : Monsieur le leader, je vais avoir besoin de vos lumières.
Ma première question porte sur le nombre réel de fonctionnaires. Lors de la présentation du budget fédéral, le gouvernement a pris l’engagement de retrancher 40 000 fonctionnaires de la fonction publique fédérale. Combien y a-t-il vraiment de fonctionnaires?
Dans le budget de 2025, à la page 236, on dit qu’après avoir retranché les 40 000 fonctionnaires, nous atteindrions la cible de 330 000. En 2023-2024, les fonctionnaires étaient près de 368 000. Pourtant, sur le site du Conseil du Trésor, lorsqu’on regarde l’évolution du nombre de fonctionnaires sur sept ans, on peut constater qu’en date du 31 mars 2024, ils étaient 266 433.
Or, cela ne se termine pas là, pour ajouter encore plus à la confusion. Le directeur parlementaire du budget, qui a reçu les Plans ministériels de 2025-2026, indique que le nombre d’équivalents temps plein, au 15 juillet —
Son Honneur la Présidente : Sénateur Carignan, je regrette, mais le temps est écoulé.
Le sénateur Moreau : Dans votre question, j’ai effectivement constaté une certaine confusion. Vous n’avez pas eu le temps, sénateur Carignan, de terminer votre question, mais je me doute de l’endroit où vous allez, alors je vais vous donner une réponse.
Le gouvernement a pris l’engagement de réduire les effectifs de la fonction publique de manière responsable par l’attrition et par des départs à la retraite. Je pense que c’est ce que les Canadiens souhaitent, et c’est ce que le gouvernement s’est engagé à faire.
Nous aurons l’occasion, dans les semaines à venir, d’étudier en détail le budget du gouvernement. Une motion a d’ailleurs été présentée à cet effet. Vous aurez sans doute l’occasion, dans les nombreux comités auxquels vous participerez, de poser les questions qui vous intéressent sur un thème mathématique qui me semble assez complexe pour une question d’une minute seulement.
Le sénateur Carignan : Monsieur le leader, combien de fonctionnaires avez-vous au gouvernement? S’agit-il de 266 433, 370 000 ou 441 000 équivalents temps plein? Ma question est-elle assez claire?
Le sénateur Moreau : Ce qui est également clair comme engagement de la part du gouvernement, c’est de réduire le nombre d’employés dans la fonction publique, parce que le gouvernement canadien répond à ce que les Canadiens souhaitent. Il va le faire, comme je l’expliquais dans la réponse que j’ai donnée à votre trop longue question, par attrition ou par des départs à la retraite. Vous aurez sans doute la possibilité d’ajouter des éléments à la question fort importante que vous posez, sénateur Carignan.
[Traduction]
L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté
Les niveaux d’immigration
L’honorable Tony Loffreda : Sénateur Moreau, j’aimerais parler du nouveau Plan des niveaux d’immigration 2025-2027 du gouvernement, qui coïncide avec le premier budget du gouvernement Carney.
Le budget de 2025 note que le ralentissement de la croissance démographique et le retour à des niveaux d’immigration viables ont atténué les pressions générales sur le marché du travail. Pourtant, le gouvernement reconnaît également qu’en raison du ralentissement au niveau des embauches, il est plus difficile pour les jeunes et les nouveaux arrivants de trouver un premier emploi.
(1500)
Le chômage chez les jeunes a augmenté considérablement depuis 2022. Au vu des tendances actuelles, que fait le gouvernement pour éviter que les cibles d’immigration réduites n’amplifient involontairement les obstacles à l’emploi que doivent surmonter les jeunes Canadiens et pour bien intégrer les nouveaux arrivants au marché du travail?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Il s’agit d’une question importante, sénateur Loffreda.
Le gouvernement du Canada aide les nouveaux arrivants à travailler dans leurs domaines de formation. Voilà pourquoi il a lancé le Fonds d’action pour la reconnaissance des titres de compétences étrangers, qui aide les provinces et les territoires à accélérer le processus de reconnaissance des titres de compétences, surtout dans le domaine de la santé et celui des métiers spécialisés, afin que les travailleurs formés à l’étranger puissent combler les pénuries bien réelles sans nuire aux jeunes Canadiens.
Le gouvernement aligne ses niveaux d’immigration avec les besoins du marché du travail — ce qui est primordial — et il mise pour ce faire sur la Stratégie d’attraction des talents internationaux et sur le plan d’action connexe.
Le gouvernement accorde la priorité aux secteurs qui connaissent des pénuries marquées et qui présentent un fort potentiel de croissance et fait en sorte que l’immigration serve de complément aux débouchés qui s’offrent aux jeunes Canadiens de partout au pays.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.
Le budget prévoit aussi une réduction importante du nombre de travailleurs étrangers temporaires, d’étudiants étrangers et de demandeurs d’asile.
Pouvez-nous dire ce que le gouvernement va faire, précisément, pour que cette réduction draconienne des voies d’accès à l’immigration ne nuisent pas aux secteurs qui comptent sur la venue de nouveaux arrivants? Quels mécanismes de soutien ciblés va-t-il mettre sur pied pour aider les jeunes à obtenir les emplois pourvus jusqu’ici par des nouveaux arrivants?
Le sénateur Moreau : Je vais avoir du mal à vous les nommer tous en 30 secondes. Bon nombre des mesures annoncées dans le budget de 2025 aideront les jeunes Canadiens à faire leur entrée sur le marché du travail.
Le dernier budget renforce l’écosystème de recherche du pays, notamment en offrant de la formation d’apprenti et du soutien ciblé aux travailleurs en début de carrière, ce qui permettra aux jeunes d’accéder aux bons emplois créés par le programme de croissance et d’innovation du gouvernement.
[Français]
Les finances
Le budget de 2025
L’honorable Éric Forest : Ma question s’adresse au sénateur Moreau.
Dans le budget de 2025, il y a un écart de 94 milliards de dollars entre les estimations du gouvernement et celles du directeur parlementaire du budget en ce qui concerne l’évaluation des investissements en capital. On a besoin de définitions claires pour que les parlementaires et le public puissent tenir le gouvernement responsable quant au retour à l’équilibre budgétaire. Le directeur parlementaire du budget réclame la mise sur pied d’un comité d’experts indépendants afin de préciser la définition des dépenses en capital — ce qui est, à mon avis, capital —, afin d’éliminer la subjectivité et les projections du gouvernement.
Le représentant du gouvernement conviendra-t-il que l’engagement du ministre des Finances d’équilibrer les dépenses de fonctionnement serait plus crédible si l’on réduisait les possibilités pour le gouvernement de s’endetter pour financer le fonctionnement des dépenses publiques?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Je crois que les déclarations du ministre des Finances sont extrêmement responsables et qu’elles doivent être prises de façon très large.
Le gouvernement a un engagement très clair, qui est de faire en sorte d’équilibrer les dépenses de fonctionnement et d’augmenter de façon importante les investissements dans les infrastructures au Canada, afin que le ratio entre la dette et le PIB soit en constante réduction au cours des prochaines années.
Les sénateurs auront certainement l’occasion de poser ce genre de questions au cours de l’examen du budget qui suivra dans les prochaines semaines. Je suis convaincu, sénateur Forest, que vous trouverez le moment et l’endroit requis pour poser ces questions très précisément.
En ce qui concerne les engagements que le directeur parlementaire du budget souhaite voir se réaliser, je ne peux pas prendre d’engagement au nom du gouvernement à cet égard.
Le sénateur Forest : Effectivement, on devrait trouver l’endroit pertinent.
Le gouvernement s’est formellement engagé à équilibrer son budget de fonctionnement d’ici 2028-2029. Malgré cet engagement, le directeur parlementaire du budget estime que 87 milliards de nouvelles dépenses de fonctionnement iront sur la carte de crédit au cours des cinq prochaines années.
Le représentant du gouvernement conviendra-t-il que la discipline budgétaire commence par des engagements clairs à contrôler les dépenses de fonctionnement?
Le sénateur Moreau : Tout en reconnaissant le travail très important que fait directeur parlementaire du budget, le gouvernement a déjà indiqué qu’il estimait que les investissements qui seraient générés par les actions prévues dans le budget feront en sorte que cette vision plus pessimiste du directeur parlementaire du budget ne se réalisera pas. Le gouvernement estime que ces investissements permettront de créer des investissements dans le secteur privé par les autres ordres de gouvernement et que cette prévisibilité augure bien pour l’économie canadienne.
[Traduction]
Les transports
Le train à grande vitesse
L’honorable Jim Quinn : Le représentant du gouvernement au Sénat peut-il nous expliquer en quoi et pourquoi le gouvernement fédéral fait preuve de leadership en proposant que le Parlement invoque le pouvoir déclaratoire, à la section 1 de la partie 5 de la Loi d’exécution du budget, en ce qui concerne le corridor réservé à une liaison ferroviaire à grande vitesse entre le Québec et l’Ontario?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Il s’agit d’un projet d’infrastructure important. Le gouvernement est déterminé à faire avancer rapidement ce projet. L’ampleur et la nature du projet soulèvent encore des questions, mais le gouvernement entend agir rapidement pour améliorer les transports publics entre l’Ontario et le Québec.
Il s’agit d’un énorme investissement, d’un très grand projet. Le gouvernement s’y est fermement engagé.
Le sénateur Quinn : Avant de proposer le recours au pouvoir déclaratoire, le gouvernement pourrait-il confirmer qu’il a l’aval de l’Assemblée nationale du Québec et de l’Assemblée législative de l’Ontario?
À première vue, le recours au pouvoir déclaratoire prévu dans le projet de loi C-15 porte atteinte aux droits de propriété et aux droits civils des provinces en empêchant les propriétaires fonciers du Québec et de l’Ontario de vendre leur propriété privée ou d’y bâtir pour une période pouvant atteindre quatre ans advenant que leur propriété puisse être nécessaire pour le projet de train à grande vitesse, mais sans l’être positivement.
Le sénateur Moreau : Ce que je peux confirmer, c’est qu’il y a actuellement des pourparlers avec le gouvernement de l’Ontario et le gouvernement du Québec à propos des parties et des localités touchées par la réalisation de cet important projet. Il s’agit de trouver la meilleure façon de procéder pour que ce projet respecte toutes les parties intéressées.
[Français]
Les affaires mondiales
La Politique d’aide internationale féministe
L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Moreau, j’ai appris avec surprise dimanche dans le Globe and Mail que le premier ministre Carney ne jugeait pas que notre politique étrangère était une politique féministe, ce qui mettait abruptement fin à huit ans d’efforts du Canada pour que notre aide internationale combatte en priorité l’inégalité des sexes et le manque d’autonomie des femmes et des filles. Cela me déçoit, surtout quand on sait qu’en situation de crise, les femmes détiennent les clés de la survie des familles. Quelle est la raison de cette volte-face sans préavis?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénatrice Miville-Dechêne, c’est une question très importante. Le gouvernement est clair et constant dans l’importance qu’il accorde à la lutte contre la discrimination fondée sur le genre, à l’élimination de la violence fondée sur le genre et à l’émancipation des femmes et des filles au Canada.
La ministre des Affaires étrangères, au premier chef, a été claire durant son discours aux Nations Unies : la politique étrangère du Canada reposera sur trois principes, soit la défense et la sécurité, la souveraineté économique et nos valeurs. Le féminisme est une des valeurs du gouvernement et cela jouera un rôle important dans notre politique étrangère par l’intermédiaire des efforts du premier ministre en vue de diversifier notre commerce international et d’attirer des investissements. Le gouvernement a aussi été clair en indiquant qu’il maintiendrait ses efforts pour combattre la violence sexiste et les inégalités partout dans le monde.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci pour cette réponse, mais je ne comprends pas pourquoi le premier ministre ne veut pas utiliser les mots « politique féministe » s’il fait tout ce qu’on dit qu’il doit faire là-dessus.
Ce changement de cap intervient alors que le gouvernement canadien a annoncé dans son budget qu’il diminuerait de 2,4 milliards de dollars l’aide internationale au cours des quatre prochaines années. Oxfam craint que les initiatives de santé en matière de reproduction et de sexualité des femmes ne soient visées. Est-ce le cas?
Le sénateur Moreau : Les investissements dans le développement international que le gouvernement canadien fait auprès des femmes sont parmi les mesures qui génèrent le plus de retombées positives pour le développement économique. Chaque dollar investi dans l’éducation des filles génère en moyenne 3 $, ce qui se transpose en des milliards de dollars supplémentaires pour le PIB. De l’éducation à l’agriculture et aux efforts de paix, une participation accrue des femmes demeure un moteur constant de croissance économique et de réduction de la pauvreté pour toutes et tous.
(1510)
[Traduction]
La défense nationale
Les dépenses militaires
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, en septembre, le sénateur Housakos a évoqué les coupes discrètes que le gouvernement a fait subir aux vols de surveillance aérienne que Transports Canada a menés au-dessus de l’Arctique l’été dernier, sous prétexte qu’il n’avait pas les capacités requises pour entretenir les trois avions à turbopropulseurs de sa flotte.
Depuis la présentation du budget de 2025, nous avons appris que la plupart, sinon la totalité, des actifs d’aviation de Transports Canada seront transférés au ministère de la Défense nationale sous couvert de l’Examen exhaustif des dépenses que mène ce dernier. Les spécialistes doutent toutefois de l’à-propos de cette décision et se demandent si elle ne vise pas plutôt à gonfler artificiellement les dépenses en défense du pays afin qu’il puisse atteindre les cibles fixées par l’OTAN.
Sénateur Moreau, le gouvernement a-t-il décidé de réaffecter une flotte civile vieillissante et partiellement inopérable pour gonfler artificiellement ses dépenses en défense et se conformer ainsi aux obligations de l’OTAN, et ce, même s’il a ajouté 81,8 milliards de dollars aux dépenses prévues en la matière d’ici 2035?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénatrice Martin, je vous rappelle que le gouvernement investit plus de 72 milliards de dollars dans la nouvelle politique de défense, Notre Nord, fort et libre, et près de 40 milliards dans le plan de modernisation du NORAD, qui prévoit une présence accrue des Forces armées canadiennes dans le Nord et dans l’Arctique. Le gouvernement sait que, pour défendre le Nord arctique, il faut que les Forces armées canadiennes y soient davantage présentes, que leur présence soit soutenue et durable et que les militaires soient bien équipés. Le gouvernement entend répondre à ces besoins.
Voilà exactement pourquoi le gouvernement fait l’acquisition de nouvel équipement : pour assurer une présence à longueur d’année dans la région de l’Arctique et du Nord.
La sénatrice Martin : Oui, nous convenons tous que le Nord a une grande importance au Canada. Toutefois, Sénateur Moreau, je me demande si le transfert de ces actifs au ministère de la Défense nationale ne risque pas d’affaiblir encore davantage les fonctions civiles essentielles qui étaient déjà très diminuées parce que le gouvernement négligeait la flotte de Transports Canada, y compris la surveillance environnementale dans l’Arctique.
Le sénateur Moreau : L’engagement du gouvernement envers l’Arctique est très clair. Les sommes qu’il y consacre sont sans précédent. Je crois que personne ne peut douter de la détermination du gouvernement quand vient le temps de protéger la souveraineté du Canada dans l’Arctique, les autres régions nordiques ou partout ailleurs au Canada.
La sécurité publique
Le programme de rachat d’armes à feu
L’honorable Salma Ataullahjan : Monsieur le leader du gouvernement, nous savons que le gouvernement fédéral persiste à vouloir mettre en œuvre le Programme d’indemnisation pour les armes à feu de style arme d’assaut, même si le projet pilote de six semaines à l’île du Cap-Breton n’a permis de récupérer que 22 des 200 armes à feu prévues. C’est à peine 11 % de l’objectif.
Comment pouvez-vous défendre la mise en œuvre d’un programme coûteux et motivé par des considérations politiques alors que le projet pilote, qui était censé mettre le système à l’essai, a échoué de manière aussi spectaculaire à atteindre son objectif ?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie d’avoir soulevé la question. L’objectif du projet pilote était de s’assurer que le gouvernement était tout à fait prêt à lancer à l’échelle nationale le Programme d’indemnisation pour les armes à feu de style arme d’assaut. Il ne s’agissait pas d’atteindre une quantité en particulier, mais plutôt de démontrer que le gouvernement était prêt à lancer le programme. C’est exactement ce que le projet pilote a fait.
Le gouvernement continue d’être en mesure de mener à bien le programme grâce à des installations de collecte partout en Ontario et à la participation des services de police municipaux. Il étendra le programme dans d’autres régions du Canada.
L’objectif principal est de garder les armes à feu hors de nos rues, car je pense que les Canadiens méritent de se sentir en sécurité dans leur environnement. Voilà en quoi consiste le programme. Le gouvernement s’est engagé à le mettre en œuvre partout au Canada. Le projet pilote prouve qu’il est possible de le faire de manière très efficace.
La sénatrice Ataullahjan : Monsieur le leader, les contribuables ont déjà vu plus de 70 millions de dollars engloutis dans ce programme, et, selon des estimations crédibles, la facture pourrait atteindre 746 millions de dollars, mais les Canadiens ne connaissent toujours pas le coût réel du programme. À tel point que la Fédération canadienne des contribuables a été obligée de s’adresser aux tribunaux uniquement pour obtenir de votre gouvernement des données fondamentales transparentes sur les coûts.
Pourquoi le gouvernement continue-t-il de déverser des centaines de millions de dollars pour s’en prendre aux propriétaires d’arme à feu titulaires d’un permis et respectueux des lois tout en refusant de divulguer le coût réel du programme?
Le sénateur Moreau : Quel est le prix à payer pour sauver des vies? Quel est le prix à payer pour faire en sorte que les Canadiens se sentent en sécurité? Avez-vous une réponse à me donner, sénatrice Batters? Quel est le prix à payer pour sauver des vies? Quel est le prix à payer pour que les Canadiens se sentent en sécurité dans leur voisinage? Croyez-vous que les fusils d’assaut ont leur place au Canada, dans nos milieux de vie? Nous voulons protéger tous les Canadiens, et, selon moi, il ne faut pas tenir compte des coûts de ce programme.
Les affaires mondiales
Le conflit au Soudan
L’honorable Marilou McPhedran : Je suis heureuse de pouvoir prendre la parole.
Sénateur Moreau, comme la sénatrice Miville-Dechêne l’a dit, le Soudan est la proie d’une guerre sanglante depuis 2023, entre les forces gouvernementales et rebelles, aucune des deux n’ayant été élue par les Soudanais. Les deux armées ont recours aux meurtres de civils et à la violence sexuelle comme armes de guerre. Cette guerre civile ravage les 18 provinces du Soudan et elle a rendu au moins 70 % des hôpitaux inutilisables. Le Soudan est aujourd’hui le théâtre de la plus grande crise humanitaire au monde : environ 24,8 millions de personnes ont besoin d’une aide vitale.
Le Canada a prolongé les mesures d’immigration spéciales et il a alloué environ 75 millions de dollars en aide.
Sénateur Moreau, pouvez-vous assurer au Sénat...
Son Honneur la Présidente : Merci, sénatrice McPhedran.
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Malheureusement, vous n’avez pas eu le temps de terminer votre question. Cela m’a posé quelques difficultés, parce que votre voix est plus forte que la mienne, mais je n’ai malheureusement pas compris votre question. Je verrai peut-être dans votre question complémentaire quelle assurance je peux vous donner en répondant à la fois à votre question principale et à votre question complémentaire.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup de me donner cette possibilité. Dans la question que j’ai posée, je vous demandais de donner aux sénateurs l’assurance que l’aide parvient bien aux Soudanais en détresse. En ce premier jour des 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe, pourriez-vous nous dire si l’aide canadienne parvient bien aux survivantes de la violence fondée sur le sexe et si elle leur est utile?
Le sénateur Moreau : Je soulèverai ces deux questions auprès de la ministre pour pouvoir vous dire comment nous nous assurons que l’aide parvient bien à destination. Je répondrai à vos deux questions dès que possible, sénatrice McPhedran.
La santé
La Loi canadienne sur la santé
L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Sénateur Moreau, hier, le gouvernement de l’Alberta a présenté le projet de loi 11, dont le titre pourrait se traduire par « Loi sur la modification des lois relatives à la santé » et qui autoriserait la création d’un modèle hybride à l’intérieur duquel certains chirurgiens et médecins spécialistes pourraient pratiquer en même temps dans le système public et dans le système privé. Ce projet de loi créera une nouvelle catégorie de médecins à la participation fluctuante, qui pourront décider au cas par cas si la facture pour tel ou tel patient doit être refilée à l’État ou si elle doit être acquittée par le patient lui-même.
La Loi canadienne sur la santé est sans équivoque : les services médicalement nécessaires doivent être entièrement assurés par le régime de la province ou du territoire en cause pour donner lieu au transfert de la totalité de contribution financière connexe.
Le gouvernement fédéral va-t-il évaluer si le projet de loi 11 de l’Alberta contrevient à la Loi canadienne sur la santé? Qu’entend-il faire, dans l’immédiat, pour que les soins médicalement nécessaires soient fournis en fonction des besoins et non de la capacité de payer?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Vous soulevez une question importante. J’en discuterai avec la ministre. Elle est sans doute au courant du projet de loi que l’Alberta a présenté. Je pourrai alors vous dire si le gouvernement entend agir ou pas.
Je n’ai pas compris, à entendre votre question, si ce projet de loi a déjà été adopté. Il vient d’être présenté, alors nous allons certainement en suivre la progression, qu’il soit finalement mis en œuvre ou non. Le gouvernement du Canada se renseignera donc pour savoir s’il a été effectivement mis en œuvre ou non.
La sénatrice Osler : Merci, sénateur Moreau. La mesure législative a été déposée hier.
Nous avons déjà vu par le passé des cas où les déductions fédérales prévues dans la Loi canadienne sur la santé étaient minimes, différées ou insuffisantes pour dissuader les provinces d’adopter des mesures qui testent leurs limites. Les modèles de double pratique risquent d’inciter les chirurgiens et les spécialistes à se tourner vers le secteur privé, où les services sont payants, laissant ceux qui ne peuvent pas payer sans autre choix que d’attendre plus longtemps.
Le gouvernement fédéral s’engagera-t-il à appliquer plus strictement la Loi canadienne sur la santé?
(1520)
Le sénateur Moreau : Comme je l’ai mentionné, puisque le projet de loi a été déposé hier, je suis convaincu que nous suivrons cette situation de près, et je serai en mesure de vous dire si le projet de loi sera adopté par le gouvernement de l’Alberta.
Le revenu national
Le crédit d’impôt pour frais médicaux
L’honorable Kristopher Wells : Sénateur Moreau, pendant la dernière campagne électorale, le premier ministre Carney a promis de faire de la fécondation in vitro une dépense de santé admissible aux termes de la Loi sur la procréation assistée et d’élargir le crédit d’impôt pour frais médicaux afin d’inclure les frais remboursés à une mère porteuse pour les dépenses liées à la fécondation in vitro. Cette promesse vise à aider les familles, y compris de nombreuses familles 2ELGBTQI+, à faire face aux coûts parfois prohibitifs de la fécondation in vitro. Cependant, de nombreux Canadiens ont été profondément déçus de ne voir aucune mention de cette promesse cruciale dans le budget de 2025.
Monsieur le sénateur, les enfants sont l’avenir de notre pays. Le gouvernement reste-t-il déterminé à tenir cet engagement important qui apportera un soutien essentiel à toutes sortes de familles dans toutes les régions du pays?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, sénateur Wells. Le gouvernement est tout à fait conscient que les traitements de fertilité comme la fécondation in vitro peuvent être à la fois difficiles et éprouvants pour toute personne qui souhaite avoir un enfant, et que le coût de ces traitements reste un défi pour de nombreux Canadiens. On m’a informé que le gouvernement en aura plus à dire sur cette question en temps voulu, mais je ne peux malheureusement pas vous donner plus d’information à ce sujet aujourd’hui.
Le sénateur K. Wells : Merci.
De plus en plus de Canadiens deviennent parents par adoption ou par mère porteuse. Pour les personnes LGBTQ2, il s’agit souvent de la seule façon de fonder la famille qu’elles ont toujours souhaitée. Or, ces couples font encore face à de nombreux obstacles.
Ces mots ne sont pas les miens. Ils sont tirés directement du programme électoral du Parti libéral, et je ne pourrais être plus d’accord. Je sais que je parle au nom de beaucoup de Canadiens des quatre coins du pays quand je demande au gouvernement de tenir cette promesse importante. C’est une question d’équité et c’est tout simplement la bonne chose à faire. Reconnaissez-vous l’importance de cette question?
Le sénateur Moreau : Je dois souligner que ce que vous avez cité provenait d’un programme électoral précédent et non du programme électoral du gouvernement actuel, il me semble.
Je confirme que le gouvernement est pleinement conscient des difficultés rencontrées par de nombreux Canadiens en matière de fécondation in vitro et qu’il aura de plus amples informations à communiquer en temps opportun.
Les transports
Les exportations de potasse
L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Ma question s’adresse au leader du gouvernement.
La semaine dernière, l’un de nos fleurons et le plus gros producteur mondial de potasse, Nutrien, a choisi d’investir 1 milliard de dollars dans un nouveau terminal d’exportation, non pas quelque part au Canada, mais plutôt à Longview, dans l’État de Washington. Le message de l’entreprise était clair, et sa décision, purement économique : frais moins élevés, goulots d’étranglement moins nombreux et meilleure infrastructure de transport. Après une décennie de gouvernements libéraux, les ports du Canada sont congestionnés, les conflits de travail sont courants, les approbations réglementaires se font attendre et les promesses de simplification des chaînes d’approvisionnement restent lettre morte.
Comment le gouvernement a-t-il pu permettre qu’un investissement de 1 milliard de dollars nous glisse entre les doigts et prenne le chemin des États-Unis, prenant ce faisant ce milliard des mains de Mark Carney et de la population canadienne pour le donner à Donald Trump?
L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) : Le gouvernement tient aux investissements comme celui-là parce que c’est le genre d’investissement qu’on veut au Canada. La réponse du gouvernement, c’est le premier projet de loi à avoir été présenté et adopté au début de son mandat, c’est-à-dire le projet de loi C-5. Or, la loi qui en est issue et le budget prévoient de nouveaux investissements dans les infrastructures. Cela faisait partie de votre question. Nous savons que nous devons investir dans nos infrastructures. C’est précisément ce que le gouvernement s’est engagé à faire. Il s’y est engagé dans le cadre du projet de loi C-5 et dans le cadre du dernier budget. Nous voulons renforcer l’économie en investissant dans les infrastructures. Le Canada sera le théâtre d’autres investissements du genre si nous nous y prenons bien. Voilà à quoi s’engage le gouvernement.
Le sénateur Housakos : Même vieux gouvernement libéral, nouveau premier ministre, mêmes résultats, et je suis conscient des résultats des dernières élections, il y a huit mois.
La décision de Nutrien constitue une condamnation sans appel de l’infrastructure de la chaîne d’approvisionnement au Canada, qui pose problème. Quand une entreprise canadienne affirme qu’il est moins coûteux de transporter de la potasse en passant par un port américain, le problème ne vient pas de Nutrien. Il vient d’Ottawa.
Comment les Canadiens peuvent-ils se fier au gouvernement, ou à ce qu’il dit, pour redresser la chaîne d’approvisionnement et redonner confiance en l’économie?
Des voix : Bravo!
Le sénateur Moreau : C’est ce que fait le gouvernement jour après jour depuis les dernières élections. Vous faites référence à un vieux gouvernement. Je souligne que la notion même dans votre préambule est éculée. Au cours de la dernière décennie, les Canadiens ont été appelés à se prononcer. Ils l’ont fait en avril dernier, sénateur Housakos, et leur choix s’est porté sur le gouvernement actuel. Et ils sont convaincus, tout comme le gouvernement, que l’économie va croître.
La Loi visant à bâtir le Canada
L’examen de l’exercice par le gouverneur en conseil et le ministre des attributions que leur confère la loi—La constitution d’un comité mixte spécial—Message des Communes
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que j’ai reçu le message suivant de la Chambre des communes :
Le jeudi 20 novembre 2025
EXTRAIT,—
Que, conformément au paragraphe 24(1) de la Loi visant à bâtir le Canada et à l’article 62 de la Loi sur les mesures d’urgence un Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes soit constitué pour faire l’examen de l’exercice par le gouverneur en conseil ou par le ministre des attributions que leur confère la Loi visant à bâtir le Canada et dépose devant chaque chambre du Parlement un rapport des résultats de son examen au moins tous les 180 jours pendant lesquels le Parlement n’est ni prorogé ni dissous, pourvu que :
a)le Comité soit composé de cinq membres du Sénat et de 11 membres de la Chambre des communes, dont cinq membres de la Chambre des communes appartenant au parti ministériel, cinq membres de la Chambre des communes appartenant à l’opposition officielle et un membre de la Chambre des communes appartenant au Bloc Québécois;
b)la coprésidence du Comité pour le Sénat soit déterminée par le Sénat et que la coprésidence du Comité pour la Chambre des communes soit assurée par un député de l’opposition officielle;
c)outre les coprésidents, le Comité élise deux vice-présidents de la Chambre des communes, dont le premier vice-président soit un député représentant le parti ministériel et le deuxième vice-président soit le député représentant le Bloc Québécois;
d)les membres de la Chambre des communes soient désignés par leurs whips respectifs en déposant auprès du greffier de la Chambre la liste des membres qui siégeront au Comité dans un délai d’une semaine civile après l’adoption de la présente motion;
e)le quorum du Comité soit fixé à neuf membres lorsqu’il y a prise d’un vote, d’une résolution ou d’une décision, à la condition que les deux Chambres, y compris un membre du parti ministériel à la Chambre des communes et un membre de l’opposition à la Chambre des communes, soient représentées, et que les coprésidents soient autorisés à tenir des réunions pour entendre des témoignages et en autoriser l’impression, à condition que cinq membres soient présents et que les deux Chambres, un membre du parti ministériel à la Chambre des communes et un membre de l’opposition à la Chambre des communes, soient représentées;
f)les changements apportés à la représentation de la Chambre des communes au sein du Comité entrent en vigueur dès le dépôt de l’avis du whip auprès du greffier de la Chambre;
g)les membres de la Chambre des communes puissent se faire remplacer au besoin et que les avis de substitution puissent être effectués de la manière prévue à l’article 114(2) du Règlement;
h)le Comité soit autorisé à :
(i)se réunir durant les séances et au cours des périodes d’ajournement de la Chambre,
(ii)faire rapport de temps à autre,
(iii)convoquer des personnes et demander la production de documents et de dossiers,
(iv)faire imprimer des documents et des témoignages dont le Comité peut ordonner l’impression,
(v)recourir aux services d’experts, notamment de conseillers juridiques, de professionnels, de techniciens et d’employés de bureau,
(vi)constituer, parmi ses membres, les sous-comités qu’il jugera utiles, et à déléguer à ces sous-comités tous ses pouvoirs, sauf celui de faire rapport au Sénat et à la Chambre des communes,
(vii)autoriser la diffusion audio et vidéo d’une partie ou de la totalité de ses délibérations publiques et de les rendre disponibles au public via les sites Web du Parlement du Canada;
i)tous les documents déposés devant la Chambre conformément à la Loi soient renvoyés au Comité, et que tous les documents déposés avant l’adoption de la présente motion soient réputés avoir été renvoyés au Comité;
j)qu’un message soit envoyé au Sénat le priant de se joindre à la Chambre pour les fins susmentionnées et de choisir, s’ils le jugent opportun, des sénateurs pour le représenter audit Comité mixte spécial.
ATTESTÉ
Le greffier de la Chambre des communes
Eric Janse
(1530)
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le message?
(Sur la motion du sénateur Moreau, l’étude du message est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
ORDRE DU JOUR
Projet de loi modifiant la Loi sur les poids et mesures, la Loi sur l’inspection de l’électricité et du gaz, le Règlement sur les poids et mesures et le Règlement sur l’inspection de l’électricité et du gaz
Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Varone, appuyée par l’honorable sénateur Arnot, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les poids et mesures, la Loi sur l’inspection de l’électricité et du gaz, le Règlement sur les poids et mesures et le Règlement sur l’inspection de l’électricité et du gaz.
L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, les gouvernements de partout au Canada négligent trop souvent la tuyauterie qui sous-tend l’économie, c’est-à-dire les politiques, les règles, les règlements et les lois qui régissent le fonctionnement de l’économie. C’est décidément le cas à Ottawa, mais personne ne peut négliger indéfiniment la tuyauterie, car tôt ou tard, les toilettes vont refouler. C’est ce qui produit aujourd’hui : il y a du refoulement dans la tuyauterie des toilettes de l’économie canadienne.
Quand vous regardez le projet de loi S-3, vous ne voyez peut-être pas automatiquement un plombier métaphorique venu à notre secours collectif, mais c’est probablement parce que son nom n’inspire vraiment rien de particulier. En effet, le projet de loi S-3 a pour titre « Projet de loi modifiant la Loi sur les poids et mesures, la Loi sur l’inspection de l’électricité et du gaz, le Règlement sur les poids et mesures et le Règlement sur l’inspection de l’électricité et du gaz ». Cela dit, si vous le regardez de plus près, vous comprendrez pourquoi il est important.
Les mesures législatives comme celle-ci me rendent incroyablement heureux parce que — pour poursuivre la métaphore — cela signifie que les bureaucrates qui sont au cœur de l’administration fédérale s’inquiètent de l’état de la tuyauterie qui sous-tend l’économie du pays. Surtout, cela montre que, politiquement, le gouvernement a choisi d’accorder la priorité à la modernisation de la tuyauterie de notre économie. J’imagine qu’il y a des attachés politiques au moment où l’on se parle qui ne partagent pas mon enthousiasme. En un mot, le projet de loi S-3 montre que le gouvernement entend sérieusement s’attaquer aux éléments difficiles, lassants ou non politiques dont nous avons besoin pour remettre l’économie sur ses rails, mais qui n’ont pas de quoi constituer une annonce en bonne et due forme.
Pour bien illustrer pourquoi je trouve le projet de loi S-3 aussi important, j’aimerais vous ramener en juin 2022, soit pendant la dernière législature. Nous étudiions alors le projet de loi d’initiative ministérielle S-6. Il faut dire qu’il avait un nom plus accrocheur : Loi concernant la modernisation de la réglementation. Le Sénat a étudié le projet de loi S-6 il y a trois ans et demi, en 2022, et c’est à ce moment qu’il a compris à quel point la tuyauterie réglementaire est bouchée. Qu’il s’agisse de consultations ou autre, les travaux préparatoires à la présentation du projet de loi S-6 ont débuté à la fin de 2017. Ce texte législatif, même s’il a suscité l’enthousiasme du Sénat, n’a même pas été étudié par la Chambre, et il a fini par périr d’une mort aussi triste que solitaire, quand le Parlement a été prorogé.
Cependant, il convient de noter que lors de notre étude du projet de loi S-6 au Comité des banques, nous avons appris que la législation canadienne sur les compteurs électriques était complètement désuète et avait été rédigée de manière restrictive afin de réglementer uniquement les services publics d’électricité à intégration verticale. Elle n’a aucunement suivi l’évolution du marché et des technologies, comme l’avènement des réseaux électriques décentralisés ou la vente à grande échelle de véhicules électriques. En conséquence, au Canada, les bornes de recharge des véhicules électriques ne peuvent facturer — désolé, il y a une petite dispense dont je vais parler dans un instant — que le temps d’utilisation, et non la quantité d’électricité réellement utilisée. Ainsi, les propriétaires de véhicules électriques moins chers et dont la recharge est plus lente subventionnent l’électricité fournie aux propriétaires de véhicules électriques dont la recharge est plus rapide, car ils ne peuvent être facturés que pour la durée de la recharge, c’est-à-dire un prix à l’heure, et non pour l’électricité utilisée, c’est-à-dire un prix au kilowattheure.
Les gestionnaires de condos et d’appartements étaient donc dissuadés d’installer des bornes de recharge pour véhicules électriques dans leurs bâtiments puisqu’ils n’auraient pas été indemnisés pour l’électricité consommée. L’inaction sur le plan réglementaire rendait l’installation de compteurs aux fins de facturation dans des garages privés illogique du point de vue économique. Étonnamment, cela n’avait en fait aucune importance. Pourquoi? Parce que les compteurs servant à la facturation — qui sont très précis, fabriqués au Canada et utilisés dans le monde entier — ne répondaient pas aux spécifications réglementaires archaïques de Mesures Canada.
Même si la tuyauterie pour sous-tendre l’économie n’était pas en place, le gouvernement précédent a investi des milliards de dollars pour stimuler l’adoption des véhicules électriques. On estime que depuis 2016, plus de 4 milliards de dollars ont été dépensés en aide financière pour l’achat de véhicules électriques et de bornes de recharge. Malgré ces milliards, notre réglementation obsolète a freiné l’apport des forces du marché et des investisseurs privés. Au moment où le comité menait son étude en 2022, le Royaume-Uni décidait de mettre fin aux subventions pour les véhicules électriques, car ce pays a réussi à créer un marché pleinement fonctionnel et autonome. De son côté, le Canada a toutefois continué d’investir plusieurs milliards de dollars. J’en tire la leçon suivante : afin de catalyser les forces du marché et de réduire au minimum les dépenses des deniers publics à l’avenir, toute mesure incitative doit être alignée sur la réglementation et les pratiques d’approvisionnement — ou mieux encore, la réglementation et les pratiques d’approvisionnement doivent être alignées sur les subventions.
Il y a toutefois une bonne nouvelle dans cette histoire. Huit mois après notre étude, Mesures Canada a accordé une dispense spéciale pour que les excellentes bornes de recharge pour véhicules électriques fabriquées au Canada puissent facturer au kilowattheure, et non plus seulement à l’heure. Cela prouve peut-être que l’on accorde de la valeur aux débats réfléchis et pertinents du Sénat.
Le gouvernement a suspendu le programme d’incitatifs à l’achat de véhicules électriques. Si la décision était prise de relancer ce programme, j’espère qu’il sera restructuré de manière à catalyser les forces du marché plutôt qu’à les subventionner.
Voici ce que je tiens principalement à dire à mes collègues de la Chambre en ce moment, mais surtout à ceux qui siègent au comité chargé d’étudier le projet de loi S-3 : il faut certainement chercher des moyens d’améliorer ce projet de loi, mais il faut aussi féliciter le gouvernement d’avoir donné la priorité à la modernisation de la tuyauterie qui sous-tend l’économie du Canada et l’encourager à en faire beaucoup plus à cet égard. Cherchons des moyens de continuer à faire avancer ce dossier. Faisons comprendre aux décideurs politiques et aux centaines de milliers de fonctionnaires que le projet de loi S-3 doit être considéré comme la première, et non la dernière, de nos mesures visant à moderniser la tuyauterie de l’économie du Canada.
À cette fin, une approche qui pourrait s’avérer utile consiste à modifier la liste de contrôle utilisée à Ottawa pour identifier les questions pouvant faire l’objet d’une annonce officielle. Par exemple, bien avant toute discussion sur les dépenses, la première chose sur cette liste devrait être de veiller à ce que la tuyauterie de l’économie soit modernisée et capable de convertir les dépenses gouvernementales proposées en investissements qui stimulent une croissance économique durable.
Pour illustrer à quel point ce changement est nécessaire, considérez que le projet de loi S-3 propose des modifications à la Loi sur les poids et mesures. La dernière mise à jour de cette loi a été effectuée lorsque j’étais en 5e année. J’ai aujourd’hui 66 ans. La dernière mise à jour de la Loi sur l’inspection de l’électricité et du gaz a eu lieu peu après ma première année à l’Université de Guelph, où certains d’entre vous se souviennent peut-être que le doyen de la faculté d’agriculture m’avait invité à revoir mon engagement envers mes activités universitaires quelque peu limitées.
Bref, tant que le projet de loi S-3 ne sera pas adopté, nous continuerons d’être régis par un cadre législatif conçu pour un marché, un environnement et des technologies qui, dans bien trop de cas, n’existent plus ou sont obsolètes. Nous avons désespérément besoin d’une mise à jour de nos bases législatives. Ce n’est pas seulement pour enfin délaisser le monde analogique dépassé et embrasser la réalité numérique, mais pour bien d’autres raisons encore. Les modifications apportées par le projet de loi S-3 aideront assurément les entreprises dans d’innombrables secteurs. Je vous en présente quelques points saillants.
Premièrement, des permissions temporaires seront accordées en vertu de la Loi sur les poids et mesures pour permettre aux organisations d’introduire sans délai les nouvelles technologies sur le marché en attendant leur approbation, ce qui rendra le système plus souple. L’échantillonnage sera autorisé comme moyen d’examen des instruments aux termes de la Loi sur les poids et mesures, ce qui augmentera l’efficacité de la surveillance réglementaire. Des exemptions aux exigences contraignantes de la Loi sur l’inspection de l’électricité et du gaz seront accordées aux petites entreprises et aux entreprises saisonnières qui vendent de l’électricité et du gaz naturel. Des plans de contrôle préventif seront autorisés par les deux lois afin d’aider les entreprises à cerner et à contrôler les dangers et de les empêcher de se livrer à des activités non conformes. Diverses exigences administratives imposées aux entreprises et à d’autres organismes seront abrogées afin d’alléger le fardeau et de permettre l’adoption d’approches numériques pour assurer la conformité.
(1540)
Le gouvernement se fait une priorité de mettre à jour les lois obsolètes. Je suis ravi qu’il ait donné la priorité à la tuyauterie qui sous-tend l’économie, qui, depuis 55 ans, n’avait pas suivi l’évolution du monde qui nous entoure. Or, cette loi est loin d’être la seule.
Je suis prêt à parier que le cabinet du ministre compte des conseillers politiques qui secouent encore la tête devant le fait qu’un projet de loi aussi ennuyeux soit considéré comme prioritaire dès le début du mandat de ce gouvernement. Si j’ai raison, j’espère qu’ils prendront le temps d’apprendre à célébrer ce travail vraiment important. Les travaux de tuyauterie de ce genre ne coûtent rien, mais contribuent à accroître les investissements des entreprises et à rétablir notre productivité. Qu’y a-t-il à redire?
Merci, chers collègues.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
La Loi constitutionnelle de 1982
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, c.p., appuyée par l’honorable sénateur Wilson, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1982 (disposition de dérogation).
L’honorable Kristopher Wells : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer mon intervention d’aujourd’hui en remerciant le sénateur Harder d’avoir présenté cette mesure législative d’une grande importance et d’avoir entamé une conversation qui se fait attendre depuis trop longtemps et qu’on ne peut plus repousser : le rôle de la disposition de dérogation et la nécessité de protéger les gens, surtout ceux issus de minorités, contre les gouvernements qui seraient tentés d’abuser de ce pouvoir extraordinaire.
Depuis plusieurs années, les conventions entourant la disposition de dérogation ont énormément évolué. Le moratoire que la classe politique semblait s’être imposé à elle-même pendant des décennies concernant ce pouvoir a pris fin d’une manière aussi dramatique qu’inquiétante.
J’admets d’emblée que le recours à la disposition de dérogation n’est pas sans précédent. Après la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement du Québec a choisi de se prévaloir fréquemment de ce pouvoir, qu’il a invoqué dans chacune de ses mesures législatives afin de protester de manière symbolique contre une constitution qu’il n’avait pas signée. Or, cette invocation était de portée universelle. Elle n’était pas dirigée contre une politique ou un groupe en particulier. Cette pratique a d’ailleurs été abandonnée par le gouvernement du Québec à peine trois ans plus tard.
Je rappelle également que cette disposition a été invoquée une nouvelle fois par le Québec pour une loi sur l’affichage en français. Même si cette invocation faisait suite à une décision débattue à fond par la Cour suprême du Canada, la disposition de dérogation n’a été valide que pendant les cinq années prévues par la loi, après quoi elle a été remplacée par une nouvelle loi, qui respectait cette fois-là les balises imposées par la Charte.
Enfin, le gouvernement de la Saskatchewan a eu recours à cette disposition en 1986 dans le cadre d’un conflit de travail, décision jugée par la suite sans objet par les tribunaux.
Ces six premières années d’expérience avec l’article 33 marquent le début de l’histoire de la disposition de dérogation. Pour de nombreux partisans de cette dernière, elles ont poussé à l’extrême les limites de l’utilisation historique d’un outil légitime.
Cependant, après cette courte période, quelque chose de remarquable s’est produit. Pendant près de 30 ans, on n’a pas invoqué cette disposition. Elle était considérée — à juste titre, à mon avis — comme une option nucléaire dangereuse et régressive : même si elle existait toujours et qu’elle constituait, théoriquement, une menace au progrès social et aux droits des minorités, les gouvernements comprenaient qu’il était préférable de ne pas l’utiliser.
Le constitutionnaliste Peter Hogg a décrit de façon célèbre la disposition de dérogation comme un « tigre de papier » : un pouvoir latent qui est effrayant en théorie, mais qu’aucun politicien ne pouvait employer en pratique.
C’est demeuré vrai pendant trois décennies. Les gouvernements de toutes allégeances savaient qu’invoquer l’article 33 équivalait à franchir des limites morales et démocratiques. Cela revenait à dire aux citoyens que leurs droits et libertés fondamentaux étaient négociables. Cette convention informelle et la retenue politique en ayant découlé ont été l’un des triomphes discrets de notre démocratie constitutionnelle. Elles ont démontré aux Canadiens que notre Charte des droits et libertés avait évolué et que ses garanties n’étaient pas seulement des principes juridiques, mais aussi des valeurs nationales communes.
Pourtant, pour de nombreux Canadiens, en particulier ceux issus de communautés marginalisées et vulnérables, la crainte de voir la disposition de dérogation utilisée à mauvais escient n’a jamais complètement disparu. Elle était toujours là, tapie sous la surface de notre démocratie.
Pour les Canadiens 2ELGBTQI+, cette crainte n’est pas abstraite. Elle est personnelle. C’est du vécu.
Après la décision rendue en 1998 dans l’affaire Vriend c. Alberta, dans laquelle la Cour suprême du Canada a jugé inconstitutionnelle l’exclusion de l’orientation sexuelle de la législation albertaine sur les droits de la personne, les factions conservatrices de la province ont exercé d’énormes pressions pour que la disposition de dérogation soit invoquée afin de passer outre à la décision de la cour. Ceux d’entre nous qui ont vécu cette période se souviennent de la peur, de l’anxiété et de l’incertitude qui ont suivi. Cette situation a contraint les Albertains queers à se demander : « Mes droits seront-ils protégés par la Constitution ou supprimés par mon gouvernement? »
Une fois encore, après la légalisation du mariage entre personnes du même sexe au Canada en 2005, certains milieux ont relancé le débat politique sur la possibilité d’utiliser la disposition de dérogation pour bloquer ou annuler l’égalité en matière de mariage. Chers collègues, imaginez un monde où le gouvernement aurait invoqué ce pouvoir draconien pour empêcher l’égalité du mariage et permettre que des gais, des lesbiennes ou des bisexuels du Canada soient congédiés simplement à cause de la personne qu’ils aiment. Imaginez si ces aspects de notre société pluraliste, dont nous sommes aujourd’hui si fiers à juste titre, avaient été interdits par l’article 33.
En fin de compte, ces menaces ne se sont jamais concrétisées, mais la simple possibilité qu’elles le soient, le fait que de telles discussions puissent être sérieusement envisagées, a révélé la précarité des droits des minorités lorsqu’elles dépendent de la bonne volonté des gouvernements plutôt que de la permanence de l’égalité et des fondements de la dignité humaine.
Pendant des années, il y a eu une paix précaire : une Charte qui promettait la protection, et une disposition qui planait comme une ombre sinistre sur cette promesse.
Maintenant, chers collègues, le tigre s’est réveillé. Au cours des dernières années, nous avons assisté à une érosion de la retenue politique qui protégeait autrefois l’intégrité de la Charte. Les gouvernements ne se gênent plus pour recourir à la disposition de dérogation — non pas comme mesure de dernier recours, mais comme outil d’opportunisme politique.
En Alberta et en Saskatchewan, on a invoqué l’article 33 pour supprimer des droits fondamentaux de la personne, bloquer l’accès aux soins de santé et porter atteinte à la vie privée et à la dignité des jeunes transgenres, qui comptent parmi les membres les plus vulnérables de notre société. Il ne s’agit pas d’exercices constitutionnels abstraits. Il s’agit d’une attaque sans retenue visant à dire aux enfants trans et à leur famille que leur identité est remise en question, que leur existence même est soumise à la volonté de l’État et que leurs droits sont tributaires des caprices et de la volonté d’autrui.
C’est d’autant plus cruel et odieux que le gouvernement de l’Alberta ait choisi d’invoquer la disposition de dérogation la semaine dernière, lors de laquelle avait également lieu la Journée du souvenir trans. Cette journée est censée être l’occasion de pleurer les innombrables personnes trans qui ont fait l’objet d’attaques haineuses, de violence et de discrimination et de penser à elles. C’est lors de cette occasion solennelle que le gouvernement de l’Alberta a honteusement décidé de doubler la mise et de contribuer à la discrimination continue.
(1550)
Quand un gouvernement invoque la disposition de dérogation pour protéger par anticipation ses lois contre une contestation en vertu de la Charte, c’est-à-dire avant même qu’un seul argument soit entendu et avant qu’une seule personne ait pu comparaître devant les tribunaux, ce n’est pas ce qu’on appelle gouverner avec confiance, mais plutôt gouverner par la peur.
Quand ce pouvoir prend en outre pour cible un groupe vulnérable, qu’il s’agisse des jeunes trans aujourd’hui ou d’un autre groupe vulnérable demain, ce n’est pas de la démocratie. C’est du majoritarisme dans sa forme la plus dangereuse.
La décision récente du gouvernement de l’Alberta d’invoquer l’article 33 dans une affaire de droits du travail constitue un autre avertissement. Quand les gouvernements commencent à banaliser le recours à la disposition de dérogation, ils abaissent pour tous le seuil à partir duquel elle peut être invoquée. Choisissez votre sujet, chers collègues, puis choisissez les protections garanties par la Charte auxquelles vous tenez et demandez-vous si elles ne seront pas les prochaines à connaître le même sort.
Voilà ce qui se passe quand une mesure exceptionnelle comme celle-là devient monnaie courante et que ce qui était jadis considéré comme impensable devient accepté. Lentement, le pouvoir exécutoire de la Charte commence à s’effriter, pas parce qu’elle a fait l’objet de modifications formelles, mais parce qu’on aura pris l’habitude d’en faire abstraction. Nous devons nous demander franchement ce que cela implique pour la santé de notre démocratie.
La Charte n’a pas été conçue pour faciliter la vie des gouvernements; elle a été conçue pour qu’ils rendent des comptes. Elle impose des limites au pouvoir de la majorité précisément parce que l’histoire nous enseigne que la majorité n’a pas toujours raison et que les droits ne sont pas vraiment des droits s’ils peuvent être suspendus dès qu’ils deviennent gênants.
L’article 33 a été inclus à titre de compromis politique — en reconnaissance de la souveraineté parlementaire dans un nouvel ordre constitutionnel. Cependant, il ne s’agit pas d’un pouvoir anodin. Nous ne pouvons pas nous permettre d’en faire une pratique courante.
Si les gouvernements commencent à traiter les droits comme des privilèges — qu’ils peuvent accorder ou retirer à leur guise —, ils risquent de saper les fondements mêmes de la démocratie constitutionnelle canadienne.
C’est pourquoi le projet de loi S-218 est si important. Ce projet de loi vise à ramener un peu de retenue dans notre structure constitutionnelle et à réaffirmer que, même si la disposition de dérogation existe, elle ne doit pas être utilisée de manière abusive.
Le projet de loi S-218 limiterait la capacité du gouvernement fédéral à invoquer l’article 33, établissant ainsi une norme dont les provinces ne peuvent faire fi.
Le mois dernier, le gouvernement du Manitoba a présenté son propre projet de loi visant à limiter l’utilisation de la disposition de dérogation dans sa province. Le premier ministre Kinew a déclaré : « La Charte énonce nos libertés fondamentales, et il nous incombe à tous et à toutes de les protéger. » Le projet de loi no 50 exige que tout projet de loi provincial qui invoque la disposition de dérogation soit soumis à l’examen de la Cour d’appel du Manitoba dans un délai de 90 jours. Cela donnerait à la cour l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de toute loi, ce qui garantirait la responsabilité envers la population de la province.
Pour conclure mes observations, j’aimerais revenir sur la dimension humaine de ce débat. À un moment où les crimes haineux contre les personnes 2LGBTQI+ sont en hausse au Canada et où la mésinformation et la panique morale se propagent à une vitesse exponentielle, le recours à l’article 33 pour bafouer les droits des Canadiens transgenres et de diverses identités de genre n’est pas seulement contraire à l’esprit de la Charte, il est aussi incompatible avec une société qui protège les plus vulnérables.
L’histoire nous jugera non sur la base des pouvoirs que nous possédons, mais sur la base de la retenue dont nous faisons preuve dans leur exercice. Le choix qui s’offre à nous ne porte pas sur l’opposition entre pouvoirs fédéraux et pouvoirs provinciaux. Il s’agit plutôt de déterminer si nos lois protègent les personnes qui en ont le plus besoin. Il s’agit de déterminer si nous permettons à la Charte de rester le bouclier qu’elle est censée être ou si nous la laissons devenir un ensemble de principes de pure forme soumis aux caprices politiques du moment.
Le projet de loi S-218 nous offre l’occasion de fixer une limite importante, de réaffirmer que les droits ne sont pas une monnaie d’échange et que les gouvernements doivent s’abstenir de tirer parti de failles dans la Constitution pour réduire les citoyens au silence ou en faire des boucs émissaires.
Chers collègues, la diversité du Canada est une source de fierté pour notre nation et elle est notre promesse. Ce qui rend notre pays extraordinaire, c’est que nous avons fait du multiculturalisme et du pluralisme une force décisive.
La disposition de dérogation était censée coexister avec le principe même du pluralisme, et non le compromettre. Aujourd’hui, nous devons reconnaître que l’équilibre a été rompu. Sans mesure législative, l’utilisation abusive de l’article 33 continuera de se répandre, érodant ainsi l’autorité morale même de la Charte.
C’est pourquoi j’appuie fermement le projet de loi S-218. Il s’agit d’une mesure mesurée, responsable et nécessaire pour protéger l’intégrité de la Constitution et réaffirmer la primauté des droits de la personne dans le droit canadien.
N’attendons pas que d’autres préjudices soient causés. Évitons de nous retrouver dans une position où nous devrons dire aux générations futures que nous avons vu les signes avant-coureurs et que nous n’avons rien fait. N’oublions pas que le silence nous rend complices de l’acte même de discrimination. Agissons en tant que sénateurs, en tant que défenseurs de la Charte et en tant que Canadiens qui croient que l’égalité et la justice ne doivent jamais être facultatives.
À bien des égards, nous ne sommes pas seulement la Chambre de second examen objectif. Nous sommes aussi les gardiens de la conscience canadienne et, si nécessaire, les défenseurs de la démocratie.
Merci, chers collègues. Meegwetch.
[Français]
L’honorable Julie Miville-Dechêne : Est-ce que le sénateur Wells accepterait de répondre à une question?
Le sénateur K. Wells : Oui.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je suis d’accord avec certaines parties de votre allocution. J’aimerais quand même vous parler d’un malaise que je ressens en tant que Québécoise lorsque j’entends les éléments que vous avez apportés.
Bien évidemment, le fait d’empêcher des enseignantes dans les écoles de porter un voile contrevient à la Charte et l’utilisation de la disposition de dérogation dans ce cas est questionnable. Pourtant, vous avez aussi parlé d’un exemple historique au Québec qui a fait consensus dans la province. Le mot « consensus » est peut-être exagéré, mais on avait largement accepté l’idée que lorsqu’on avait devant nous la Loi sur l’affichage en français, il fallait absolument invoquer la disposition de dérogation. C’est bien beau de dire que c’est la majorité contre la minorité. Linguistiquement, le Québec est une minorité. Cette idée de faire appel à la disposition de dérogation pour protéger notre langue — car qui dit langue visible dit langue qui existe — ne peut pas être mise sur le même pied que tous les autres exemples que vous avez donnés. Qu’en pensez-vous?
[Traduction]
Le sénateur K. Wells : Merci de soulever cet exemple. Je suis tout à fait d’accord qu’il peut parfois être approprié d’avoir recours à la disposition de dérogation. Ce qui me préoccupe le plus, c’est lorsque son utilisation vise à priver des Canadiens vulnérables de leurs droits fondamentaux, compte tenu des exemples que j’ai donnés de ce qui se passe actuellement au Canada. Merci de la question.
Son Honneur le Président intérimaire : Sénateur Wells, votre temps de parole est expiré. Demandez-vous cinq minutes de plus?
Le sénateur K. Wells : Je demande cinq minutes de plus, s’il vous plaît.
Son Honneur le Président intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
L’honorable Denise Batters : À la fin de votre réponse à la sénatrice Miville-Dechêne, vous avez dit que l’un de ses exemples pourrait être une situation où vous considéreriez que la disposition de dérogation a été utilisée à bon escient.
Pourriez-vous considérer l’exemple qui a motivé ce projet de loi? Les peines consécutives imposées à un meurtrier au Québec pour avoir assassiné plusieurs hommes musulmans alors qu’ils priaient dans une mosquée sont la raison pour laquelle le Parti conservateur envisageait de recourir à la disposition de dérogation s’il remportait les élections. Nous considérons que c’était une occasion acceptable de recourir à la disposition de dérogation, afin de permettre à quelqu’un de recevoir plus qu’une seule peine de 15 ans d’emprisonnement pour avoir assassiné plusieurs hommes musulmans réunis pour prier.
Le sénateur K. Wells : Je vous remercie de votre question. Je pense que le simple fait d’être en désaccord avec une décision de la cour ne signifie pas que la seule option envisageable soit le recours à la disposition de dérogation.
Une fois encore, nous avons traversé une période de 30 ans pendant laquelle les gouvernements ont réagi de différentes manières à diverses décisions des juges sans avoir besoin de recourir à ce pouvoir. En fait, compte tenu de certaines préoccupations soulevées aujourd’hui au sujet de certaines décisions rendues par les tribunaux, notamment en ce qui concerne la pornographie juvénile, comme exemple récent, le ministre Fraser a déclaré aujourd’hui même dans les journaux que le gouvernement était prêt à se pencher sur la question constitutionnelle afin de garantir que les contrevenants subissent les conséquences de leurs actes.
(1600)
Je dirais qu’il est important de laisser les tribunaux statuer sur la constitutionnalité de ces questions, puis d’examiner la réponse du gouvernement.
La sénatrice Batters : Pour le cas dont j’ai parlé, il n’y a pas de solution facile. L’individu a été reconnu coupable de plusieurs meurtres, mais il se voit attribuer une peine peu sévère parce qu’il est seulement possible de lui imposer la peine prévue pour un meurtre au second degré, je crois, soit un minimum de 10 ans sans possibilité de libération conditionnelle. Pour le cas dont il a été question lors de la dernière campagne électorale, il n’y a pas de solution facile. La disposition de dérogation serait probablement la seule issue dans cette affaire. Je peux l’affirmer à titre d’avocate qui réfléchit à ce genre de questions.
Si vous avez une autre solution à proposer dans ce cas-ci, je serais très curieuse de l’entendre.
Le sénateur K. Wells : Je peux vous assurer que je réfléchis beaucoup, moi aussi, à ces questions sur le plan personnel et professionnel.
Il faut une réforme du système judiciaire, je suis tout à fait d’accord avec vous. Il faut réformer le Code criminel. Voilà pourquoi il est important que nous soyons saisis du projet de loi C-9, par exemple, pour que nous puissions avoir de meilleurs outils en vue de régler les problèmes que connaît actuellement notre société.
L’une des tâches importantes qui incombent au Sénat, c’est d’examiner en profondeur ces lois et de veiller, au nom de la population canadienne, à ce qu’elles respectent la Charte et qu’elles soient aussi bonnes que possible.
[Français]
L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi du sénateur Harder concernant la disposition de dérogation.
Je tiens à préciser d’emblée que je suis en faveur de ce projet de loi. Pourquoi suis-je en faveur? Car la protection des droits des minorités est au cœur même de nos responsabilités en tant que sénateurs.
Certes, la notion de minorité au Sénat a changé au fil du temps. Lorsque le Sénat a été créé, les minorités incluaient les personnes qui vivaient dans les provinces les moins peuplées du Canada, en particulier les provinces de l’Atlantique. Un autre groupe faisait partie des minorités : l’élite, les Canadiens aisés qui craignaient que les gens ordinaires de la Chambre des communes ne mettent en péril leur richesse, principalement par l’exercice des pouvoirs fiscaux de la Chambre des communes.
[Traduction]
Peu à peu, le Sénat a étendu la notion de minorité aux Canadiens appartenant à des groupes qui étaient quelque peu marginalisés à la Chambre des communes, notamment les minorités linguistiques, culturelles et sociales, dont les droits ont été consacrés lors du rapatriement de la Constitution en 1982. Nous avons alors obtenu, dans une certaine mesure, une appréciation de l’attention que le Sénat avait accordée aux minorités dans le passé.
De toute évidence, notre travail n’était pas terminé parce que la Charte faisait maintenant partie de la Constitution. La Charte a confirmé à quel point il était important pour nous de mettre l’accent sur les protections nécessaires — et comme nous faisons partie du Parlement, notre rôle est d’examiner les lois et les mesures fédérales dans cette optique.
Lorsque le sénateur Harder a commencé à sonner l’alarme, nous étions témoins d’une augmentation du recours à la disposition de « dérogation » par les provinces, ce qui a suscité un débat important sur le mérite de cette pratique. Depuis, nous avons observé une utilisation encore plus fréquente de cette disposition, et souvent à titre préventif. La province de l’Alberta s’en est servi récemment pour mettre fin à une grève des enseignants. Chers collègues, l’Assemblée législative de la province de l’Alberta a adopté une loi sur la négociation obligatoire. La clause « dérogatoire » n’était donc pas nécessaire.
Je tiens également à saluer le gouvernement du Manitoba, qui a déclaré publiquement qu’il mettrait en place un cadre juridique provincial pour limiter tout recours futur à la disposition de « dérogation » par tout gouvernement de la province.
En revanche, certains députés de l’autre endroit parlent de plus en plus d’invoquer cette disposition de façon préventive au niveau fédéral.
Nous ne sommes pas ici pour débattre du bien-fondé de la disposition de dérogation ou de son utilisation. Elle fait partie intégrante de la Charte et de la Constitution de notre pays. Peu importe si nous l’aimons ou la détestons, elle est un élément clé de l’accord qui a mené au rapatriement de la Constitution en 1982.
Le débat actuel porte sur l’utilisation de cette disposition à des fins préventives par le gouvernement fédéral et sur la manière dont nous devrions, en tant que sénateurs, aborder cette question dans le cadre de notre rôle au sein du processus législatif. Il va sans dire que notre chambre est maîtresse de ses travaux. C’est à nous de décider comment se déroulent les débats et c’est à nous de prendre des décisions à la lumière de nos délibérations. Je ne pense donc pas que l’examen de ce projet de loi dépasse notre mandat. Je ne pense pas non plus qu’il porte atteinte à notre liberté en matière de délibérations. En effet, nous déciderons nous-mêmes de la façon de procéder; rien ne nous est imposé. Il s’agit d’un projet de loi d’intérêt privé. Si nous l’adoptons, ce sera le Sénat qui s’exprimera.
Pourquoi le Sénat devrait-il envisager les mesures proposées? Nous avons pour mandat de représenter les voix minoritaires du pays. Par sa nature même, la disposition de dérogation est un veto pouvant être appliqué à certaines parties de la Charte. C’est contraire aux dispositions de la Charte que nous sommes chargés de protéger. De plus, si la disposition est invoquée de manière préventive, les tribunaux ne peuvent se prononcer sur la constitutionnalité de la question en jeu. Il est donc logique de considérer une telle utilisation comme intrinsèquement contraire à la Charte.
La disposition de dérogation est en vigueur depuis 43 ans, et je ne pense pas qu’il y ait une personne dans cette Chambre qui soit entièrement en accord ou en désaccord concernant son utilisation par des provinces. Les arguments dans un sens ou l’autre dépendent généralement de notre point de vue sur chaque cas où elle a été invoquée et peuvent donc varier. Toutefois, dans le cadre du présent débat, nous limitons notre examen à l’utilisation préventive de la disposition et à notre rôle de protecteur des minorités dans le cadre législatif.
Soyons clairs : la disposition de dérogation sert à nier des droits garantis par la Charte. Certains affirment que ce ne peut pas être le cas, puisqu’elle fait elle-même partie de la Charte. Cependant, le libellé de la disposition elle-même, au paragraphe 33(1), est clair :
... indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.
Voilà son utilité : elle a pour but de permettre à une loi de ne pas respecter la Charte.
En fait, le recours préventif à la disposition de dérogation est paradoxal. Il sert à déclarer qu’une mesure législative est soustraite aux dispositions de la Charte. Sauf que, si la disposition de dérogation est invoquée de manière préventive, on ne sait pas si la mesure législative en question aurait même fait l’objet d’une contestation fondée sur la Charte. Aucun tribunal ne s’est prononcé. On contourne les droits d’emblée.
(1610)
Si nous tranchons des questions qui mettent en cause des droits garantis par la Charte sans que les tribunaux ne puissent se prononcer, nous risquons à long terme d’affaiblir les droits et de créer des précédents qui pourront être invoqués pour nier des droits sans que les tribunaux aient la possibilité de se prononcer sur l’existence même de ces droits. Si le recours préventif à la disposition de dérogation continue de se généraliser pour court-circuiter les tribunaux et éviter d’établir nos droits, nous risquons de nous retrouver avec un système où nos droits ne sont pas protégés par la Charte, mais dépendent plutôt des humeurs et de la vision à court terme des politiciens du moment. Les droits sont censés être au-dessus de ces considérations; autrement, ils ne veulent rien dire.
En outre, il ne faut pas oublier, dans le cadre du débat, que la Cour suprême est saisie d’une affaire concernant la disposition de dérogation et que le gouvernement est intervenu pour demander à celle-ci des précisions sur l’application de cette disposition. Cette affaire pourrait bien se révéler pertinente, et nous devons la suivre de près.
La présidente de l’Association du Barreau canadien, Lynne Vicars, s’est dite favorable au principe du projet de loi. Elle a déclaré :
Exiger une plus grande transparence, et des délibérations plus approfondies, avant d’invoquer la disposition de dérogation contribuerait à protéger les droits fondamentaux, à renforcer la confiance du public dans nos institutions juridiques et à limiter les recours à l’article 33 qui pourraient avoir pour effet de passer outre aux protections garanties par la Charte au détriment de la population canadienne et, en particulier, au détriment des personnes et des communautés marginalisées ou opprimées.
Lorsqu’un gouvernement invoque la disposition de dérogation avant même que les tribunaux examinent une loi, il paralyse le système judiciaire, l’empêchant en fait d’examiner pleinement la loi et de possiblement déclarer celle-ci inconstitutionnelle en tout ou en partie.
L’utilisation préventive de la disposition de dérogation donne au gouvernement le premier et le dernier mot en matière de droits. Ce faisant, un élément fondamental de notre démocratie constitutionnelle, à savoir le contrôle judiciaire exercé afin de protéger les droits des minorités, est neutralisé.
Errol Mendes, un professeur de droit à l’Université d’Ottawa spécialisé en droit constitutionnel, a fait remarquer que si l’utilisation préventive de la disposition de dérogation devient courante, il se peut que les gens soient moins enclins à promouvoir et à défendre leurs droits. Il s’agirait alors d’un « renoncement silencieux » à nos droits garantis par la Charte. Nos droits se désintégreraient lentement, non pas sous l’effet de l’oppression, mais parce que nous cesserions progressivement de les défendre.
La disposition de dérogation était censée être utilisée dans des circonstances très rares, en dernier recours. Or, son utilisation préventive en fait plutôt un premier recours, ce qui ne correspond pas à la vision initiale. La disposition de dérogation n’a pas été mise en place pour se soustraire à l’examen du Parlement ou aux freins et contrepoids, mais pour permettre aux assemblées législatives d’exercer leur autorité législative de façon limitée.
Peter Lougheed, qui est le père de la disposition de dérogation et qui a joué un rôle déterminant pour la faire inscrire dans la Charte, en est de toute évidence un fervent défenseur. Par contre, il s’opposait à son utilisation à des fins préventives. En 1991, il a déclaré :
L’approche adoptée par le gouvernement de la Saskatchewan en 1986 dans sa loi sur les relations de travail, empêchant tout contrôle judiciaire, doit être rejetée. À mon avis, une telle mesure est antidémocratique. Le but de l’article 33 était d’assurer la suprématie ultime du Parlement sur le pouvoir judiciaire, et non de dominer le pouvoir judiciaire et de l’empêcher de s’acquitter de son rôle dans l’interprétation des articles pertinents de la Charte des droits.
Errol Mendes a déclaré ce qui suit :
Le recours récent à la disposition de dérogation dans le cadre de la grève des enseignants en Alberta a suscité une vive controverse dans la région, amenant le bureau de l’Association canadienne du barreau de la province à se prononcer sur l’utilisation de cette disposition, en particulier à titre préventif. Voici ce qu’a déclaré cette association :
« Le gouvernement a invoqué la disposition de dérogation avant que la Cour ait eu l’occasion d’examiner la loi et de déterminer si les limites que celle-ci impose sont raisonnables. En agissant ainsi, il cherche à écarter le pouvoir judiciaire du processus démocratique d’élaboration des lois [...] »
Je suis du même avis sur ce point. Lorsque la disposition de dérogation est utilisée de manière préventive, nous supprimons une partie de notre processus — un élément important de notre système. En agissant ainsi, nous ne contribuons ni au débat ni à la démocratie. Au contraire, des voix sont réduites au silence. L’utilisation préventive ne renforce pas la démocratie comme certains le prétendent, mais empêche le bon fonctionnement de notre système démocratique, dont les tribunaux font partie intégrante. Que la disposition de dérogation soit utilisée de manière préventive ou non, le but dans les deux cas est de passer outre des droits qui sont garantis par la Charte, mais dans un de ces cas, le processus est beaucoup moins transparent.
Anaïs Bussières McNicoll, de l’Association canadienne des libertés civiles a déclaré que « les législateurs ne devraient pas se servir de la disposition de dérogation avant d’avoir reçu une décision définitive d’un tribunal au sujet de la constitutionnalité d’une loi ».
En principe, si un projet de loi de cette nature est renvoyé au Sénat, c’est parce qu’il aura déjà fait l’objet d’un processus rigoureux, ce qui ne signifie pas que nous n’aurons pas besoin d’y jeter un second regard attentif...
[Français]
Son Honneur la Présidente : Je suis désolée, sénatrice Ringuette, mais votre temps de parole est écoulé. Voulez-vous demander cinq minutes de plus?
La sénatrice Ringuette : Oui.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie, chers collègues. Je vais revenir quelques paragraphes en arrière.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-218 établit un cadre régissant le recours préventif par le gouvernement fédéral à la disposition de dérogation. Il rassure quelque peu les sénateurs quant à la protection des droits garantis aux Canadiens par la Charte en précisant les étapes que le gouvernement doit suivre avant de déposer un projet de loi invoquant cette disposition de manière préventive, ainsi que les étapes pour la tenue des débats à la Chambre des communes et au Sénat.
En principe, lorsqu’un tel projet de loi est renvoyé ici, il a déjà fait l’objet d’un processus rigoureux. Cela ne signifie aucunement que nous ne devons pas procéder à un second examen objectif. Cependant, chers collègues, nous commencerons les débats et l’étude lorsque le gouvernement aura fait preuve d’une transparence totale en ce qui concerne nos droits garantis par la Charte.
Je pense que ce projet de loi est très pertinent. Je crois que les Canadiens méritent un Sénat qui agit et ne laisse pas nos droits être bafoués sans débat approprié ni surveillance judiciaire. J’appuie le renvoi du projet de loi au comité. Je vous remercie, chers collègues.
L’honorable Denise Batters : La sénatrice Ringuette accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Ringuette : Oui.
La sénatrice Batters : Sénatrice Ringuette, dans votre discours d’aujourd’hui, vous avez dit, même si je ne l’ai peut-être pas retranscrit verbatim, que notre assemblée est maîtresse de son domaine; c’est nous qui décidons de ce dont nous allons débattre et comment nous en débattrons. Mais si nous, au Sénat, adoptions ce projet de loi du sénateur Harder et qu’il devenait loi, ce qui limiterait l’application de l’article 33 de la Charte, nous renoncerions en fait à une partie importante de nos pouvoirs au Sénat, puisque nous ne serions plus maîtres de notre domaine. Nous ne serions plus non plus en mesure de décider « […] de ce dont nous allons débattre et comment nous en débattrons ». En effet, le projet de loi S-218 du sénateur Harder retire ces pouvoirs au Sénat, puisqu’il exige que tout projet de loi fédéral de ce type soit présenté à la Chambre des communes — et non au Sénat — et qu’il soit présenté par un ministre.
(1620)
Ce projet de loi n’entrave-t-il pas en réalité notre travail au Sénat?
La sénatrice Ringuette : Merci pour votre question, sénatrice Batters.
Ce projet de loi réserve à la Chambre des communes le recours à la disposition de dérogation parce qu’il prévoit le renvoi de la question au pouvoir judiciaire. Le Sénat n’a pas le pouvoir de renvoyer une question à la Cour suprême du Canada. Vous devriez le savoir.
Vous me demandez en quoi cela restreint nos débats. Selon moi, ce n’est pas du tout le cas. La seule disposition du projet de loi S-218 qui concerne le Sénat est que le projet de loi où la disposition de dérogation serait invoquée ne devrait pas être étudié par un comité plénier ni aux Communes ni au Sénat. Cette disposition a uniquement pour but d’élargir le débat, et non de le restreindre. Je ne suis donc pas d’accord avec vous, sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : En fait, ce n’est pas une disposition du projet de loi S-218 qui prévoit le renvoi du projet de loi attentatoire à un tribunal par la Chambre des communes, le gouvernement ou selon un autre mécanisme dont vous parliez peut-être. Le renvoi se serait déjà produit au moment où les dispositions du projet de loi S-218 commenceraient à s’appliquer. Le projet de loi S-218 précise qu’« [un] projet de loi attentatoire ne peut être présenté que si la Cour suprême a déjà déclaré [...] en réponse à un renvoi [...] », donc le renvoi aurait déjà eu lieu bien avant. De même, il est précisé qu’« [un] projet de loi attentatoire doit obligatoirement prendre naissance à la Chambre des communes et y être présenté par un ministre. »
En ce qui concerne le comité plénier, il s’agit d’une autre restriction imposée par ce projet de loi, mais ce n’est pas la seule.
Les précisions que je viens de donner sur le renvoi préalable d’un projet de loi attentatoire à un tribunal, bien avant que ce projet de loi ne soit rédigé et présenté au Parlement, changent-elles votre opinion sur la question?
La sénatrice Ringuette : Puis-je répondre à cette question?
Son Honneur la Présidente : Sénatrice Ringuette, il faut demander à vos collègues s’ils sont d’accord.
Voulez-vous accorder la parole à la sénatrice Ringuette pour répondre à cette question?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Ringuette : Sénatrice Batters, merci pour votre question.
La disposition à propos du comité plénier vise clairement à enrichir le débat, pas à le restreindre par un processus écourté.
La question est très étrange, car cette situation pourrait arriver. Cependant, au Sénat du Canada, où je siège depuis près de 23 ans, nous avons le devoir de protéger les droits garantis par la Charte et de défendre les droits des minorités. Vous laissez entendre que, bien que les sénateurs ont le mandat de protéger les droits garantis par la Charte et les droits des minorités, un projet de loi visant à nier ces droits pourrait prendre naissance au Sénat. J’ose espérer que je ne serai pas au Sénat si cela se produit un jour, car je m’y opposerai farouchement.
Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Français]
Projet de loi contre la rétribution du silence
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Marilou McPhedran propose que le projet de loi S-232, Loi concernant les accords de non-divulgation, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, en tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du Traité no 1, le territoire traditionnel des peuples anishinabe, cri, oji-cri, dakota et déné, ainsi que la patrie de la nation métisse de la rivière Rouge. Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.
[Traduction]
Chers collègues, comme l’a dit la sénatrice Ross, c’est aujourd’hui le premier jour des 16 jours de militantisme de l’ONU contre la violence sexiste. Il est donc pertinent que je présente de nouveau, aujourd’hui, la Loi contre la rétribution du silence, c’est-à-dire le projet de loi S-232, Loi concernant les accords de non-divulgation, parce que les femmes sont beaucoup plus souvent touchées que les hommes par les accords de non-divulgation qui camouflent les actes répréhensibles.
Ce projet de loi a pour but de contrer les abus commis dans les milieux de travail financés par le fédéral. Il vise à y interdire l’utilisation abusive des accords de non-divulgation comme condition de règlement des cas de harcèlement, de discrimination et de violence.
Le terme « utilisation abusive » est important parce que les accords de non-divulgation sont devenus un moyen malveillant de faire taire et d’opprimer les personnes les plus vulnérables. Ici, au Sénat, et dans bien d’autres grandes institutions, on a par exemple recours aux accords de non-divulgation par souci de confidentialité. Le projet de loi a plutôt pour but de juguler les utilisations abusives de ces accords pour camoufler les actes répréhensibles commis par des personnes en position de pouvoir.
Le projet de loi que je présente n’est pas le premier à aborder au Sénat la question de l’utilisation abusive des accords de non-divulgation. Il y a quatre ans, le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration a publié le rapport Addressing Violence and Harassment in Canada’s Senate, dans lequel on recommandait d’interdire les accords de non-divulgation dans les cas de harcèlement et de violence.
Selon ce rapport, ces accords font que les cas de harcèlement et de violence restent entourés de secret. De plus, les femmes, qui subissent plus de harcèlement que les hommes, sont plus touchées qu’eux.
Hier, le Hill Times a publié un article d’opinion que j’ai coécrit avec Mme Julie Macfarlane, cofondatrice de l’organisation de la société civile Can’t Buy My Silence, qui a travaillé sans relâche pour mieux faire connaître au Canada et dans le monde entier l’incidence des mauvais traitements dissimulés par des accords de non-divulgation.
Quelle que soit leur position actuelle sur le projet de loi, je sais que les sénateurs croient que les décisions doivent être fondées sur des données probantes. Je vous invite donc à vous joindre à nous demain, à 10 heures, dans le salon des sénateurs, pour la conférence intitulée « Briser le silence : discussion sur la mesure législative sur les accords de non-divulgation », qui est coorganisée avec la sénatrice Kim Pate, à laquelle participeront des experts et des personnes qui parleront des torts qu’elles ont subis à la suite de l’imposition d’un accord de non-divulgation visant à dissimuler des actes répréhensibles.
(1630)
Permettez-moi de vous fournir de plus amples détails sur les accords de non-divulgation, également connus sous les termes accord du silence, accord de non-dénigrement et entente de confidentialité. Ces termes ont commencé à être utilisés il y a plus de 40 ans par des avocats qui rédigeaient des ententes contractuelles. Ces clauses visaient à protéger les informations commerciales et la propriété intellectuelle en insérant dans les contrats une obligation de confidentialité. La divulgation des informations visées par ces clauses pouvait donner lieu à des poursuites pour violation de contrat.
Malheureusement, les accords de non-divulgation sont souvent utilisés de nos jours pour réduire au silence les victimes d’inconduite sexuelle, de discrimination, de racisme, de harcèlement et de toutes les autres formes de violation des droits fondamentaux. Le recours abusif aux accords de non-divulgation cause un préjudice psychologique profond à des personnes vulnérables en leur imposant le silence, en protégeant les agresseurs contre toute responsabilité de leurs actes, en sapant l’intégrité d’une organisation et en portant atteinte aux principes de justice et d’équité.
Les accords de non-divulgation s’appliquent de manière disproportionnée aux personnes les plus vulnérables et les plus marginalisées de la population. En effet, les Autochtones, les groupes racisés, les personnes de diverses identités de genre, les femmes et les personnes 2ELGBTQI+ sont les plus touchés par cette forme de musèlement. En outre, les personnes qui subissent de la violence fondée sur le sexe sont souvent les plus vulnérables aux répercussions traumatisantes des accords de non-divulgation.
Quand les accords de non-divulgation visent à protéger les agresseurs et la réputation de la partie la plus puissante, il s’agit d’un détournement abusif de cet instrument juridique. Lorsqu’une victime signe ce type d’obligation au silence, qui est parfois assortie d’une compensation monétaire, elle protège sa vie privée, mais elle le fait au prix d’être contrainte de protéger l’identité de ses agresseurs présumés. Ces derniers ont ainsi la voie libre pour gravir les échelons au sein de leur entreprise ou se joindre à une nouvelle organisation sans avoir à porter le fardeau de leurs actes, et sans même qu’il y ait de trace écrite de leurs actes.
L’une des victimes à avoir parlé publiquement de son expérience au sein d’une agence fédérale, un homme, m’a confié qu’après avoir signé un accord de confidentialité, le plus difficile pour lui a été de rester à son poste et de voir son supérieur hiérarchique, auteur de mauvais traitements, obtenir une promotion qui permettrait à ses comportements discriminatoires de continuer, le tout financé par les deniers publics.
Le projet de loi S-232, la Loi contre la rétribution du silence, est simple. En résumé, il s’agit de suivre l’argent et de supprimer le financement fédéral pour l’utilisation abusive des accords de confidentialité, d’empêcher que le système judiciaire soit utilisé comme une arme contre les plaignants — qu’on menace de poursuites judiciaires s’ils disent la vérité —, et de demander des comptes.
L’adoption de ce projet de loi renforcerait les normes parlementaires en matière de transparence et de responsabilité puisqu’il exigerait que le président du Conseil du Trésor ajoute aux rapports qu’il est déjà tenu de produire une section sur l’utilisation des accords de confidentialité liés à des cas de harcèlement présumé dans les entités financées par le gouvernement fédéral. Il exigerait également que le Parlement procède à un examen de la loi tous les deux ans après son entrée en vigueur.
Permettez-moi de préciser que j’ai parlé au ministre Shafqat Ali, président du Conseil du Trésor. Il m’a invitée à avoir prochainement une discussion plus approfondie avec lui au sujet de ce projet de loi.
La Loi contre la rétribution du silence modifierait également la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur le Parlement du Canada en ce qui concerne l’utilisation de fonds publics pour conclure des accords de non-divulgation dans le cas de plaintes de harcèlement ou de discrimination, et pour poursuivre en justice des plaignants relativement à de tels accords afin de les punir ou de les réduire au silence.
Le projet de loi modifierait la Loi sur la gestion des finances publiques afin d’exiger que les fonctionnaires fédéraux autorisés à accorder des subventions ou des contributions prennent des mesures pour empêcher que des fonds publics soient utilisés pour payer des sommes dues au titre du règlement de plaintes de harcèlement et de violence ou de discrimination lorsque le règlement comporte un accord de non-divulgation, ou qu’ils soient utilisés pour poursuivre des plaignants en justice relativement à de tels accords.
Enfin, il modifierait la Loi sur la gestion des finances publiques afin de prévoir que les entités non gouvernementales bénéficiaires d’une subvention ou d’une contribution fédérale fassent rapport au président du Conseil du Trésor au sujet de leur utilisation des accords de non-divulgation de manière que ces rapports puissent être inclus dans le rapport du Conseil du Trésor au Parlement.
Dans le but de changer la culture laxiste qui a permis d’utiliser des accords de non-divulgation afin de dissimuler des inconduites au lieu de protéger des secrets commerciaux, ce projet de loi mettrait également en place de nouvelles normes plus strictes en matière de transparence et de reddition de comptes dans la production de rapports aux Canadiens sur l’utilisation des fonds publics.
L’article 3 du projet de loi exige que chaque entité dont les données financières figurent dans les Comptes publics établis sous le régime de la Loi sur la gestion des finances publiques fournisse le nombre d’accords de non-divulgation conclus dans les cas de harcèlement, de violence ou de discrimination qui remplissent les conditions mentionnées précédemment, ainsi que le montant dépensé pour ces accords au cours de l’exercice concerné.
L’article 4 prévoit que, une fois le projet de loi entré en vigueur, un examen public de son efficacité soit réalisé tous les deux ans par un comité de la Chambre des communes et du Sénat, qui sera constitué spécialement à cette fin.
L’article 5 prévoit que les entités qui ne figurent pas dans les Comptes publics, comme CBC/Radio-Canada et le Conseil national de recherches du Canada, pour ne nommer que celles-là, mais qui ont reçu un don ou une contribution du fédéral, fournissent chaque année au président du Conseil du Trésor les mêmes informations, et ce, sans divulguer l’identité du plaignant.
Les associations sportives au Canada reçoivent d’importantes subventions fédérales. Le scandale des agressions sexuelles à Hockey Canada est un exemple récent qu’il convient de garder à l’esprit.
L’article 6 vise à empêcher le gouvernement fédéral de conclure à l’aide de fonds publics des accords de non-divulgation avec des employés fédéraux lorsque ces derniers se sont plaints de harcèlement, de violence ou de discrimination sur leur lieu de travail.
Permettez-moi maintenant d’évoquer brièvement la prévalence. En raison de la nature même du secret imposé, il est actuellement impossible de déterminer des chiffres précis, mais si la Loi contre la rétribution du silence était adoptée, il serait possible d’obtenir des données plus précises. Des études menées aux États-Unis et au Canada révèlent qu’environ un tiers ou plus des employés signent un accord de non-divulgation. Les données de Can’t Buy My Silence montrent que 45 % des Canadiens ayant participé à l’enquête déclarent avoir signé un accord de non-divulgation, et que 13 % « ne peuvent pas le dire pour des raisons juridiques », ce qui laisse supposer qu’ils ont signé un accord de non-divulgation, mais qu’ils sont conscients que le dire constituerait une violation technique.
Can’t Buy My Silence souligne que plus de 16 000 accords de non-divulgation sont signés chaque année en Ontario uniquement pour des cas de harcèlement sexuel. En outre, de nombreux accords comprennent des clauses de non-dénigrement, lesquelles vont encore plus loin que les accords de non-divulgation puisqu’elles interdisent aux victimes de faire des remarques négatives sur l’agresseur ou l’employeur.
Certains se demandent en quoi la signature d’un contrat pourrait avoir un impact négatif sur un plaignant dans une affaire de discrimination ou de harcèlement. Qu’y a-t-il de grave à cela? Des études montrent que les accords de non-divulgation peuvent avoir des conséquences très graves sur la santé mentale. Ils empêchent généralement les victimes de parler à leur famille, à leurs amis, à leurs collègues et même à leur thérapeute de ce qui leur est arrivé, ce qui aggrave le traumatisme subi par la personne. Les résultats de l’enquête menée par Can’t Buy My Silence indiquent que 93 % des participants ayant signé un accord de non-divulgation font état de conséquences négatives sur leur santé mentale.
Dans les faits, les accords de non-divulgation n’ont pas la même portée ni les mêmes conséquences pour tout le monde. Des études montrent qu’ils touchent de manière disproportionnée les femmes, les groupes racisés, les populations autochtones et les personnes plus jeunes ou plus âgées que la moyenne. Les femmes sont beaucoup plus susceptibles d’être touchées par les accords de non-divulgation parce qu’elles sont les plus concernées par les cas de harcèlement sexuel et de discrimination liée à la grossesse.
Une étude réalisée en 2024 par Mark Gough, professeur à l’université Penn State, établit que les accords de non-divulgation ont un impact disproportionné sur les travailleurs racisés et autochtones. L’analyse par tranche d’âge montre que, peu importe leur sexe, ils signent des accords de non-divulgation le plus souvent au début de leur carrière ou plus tard.
(1640)
Je vais maintenant démontrer que je ne suis pas la seule à me préoccuper de l’enjeu abordé dans le projet de loi en vous informant d’initiatives prises par d’autres administrations. Pas moins de 29 États américains ont adopté des lois sur les accords de non-divulgation; ces lois ne sont pas toutes identiques. Les États de l’Arizona, de la Louisiane, du Missouri, du Tennessee et du Wisconsin ont adopté des lois dont le contenu est tout à fait comparable à celui du projet de loi S-232. Au niveau fédéral, en 2022, le Congrès américain a adopté la Speak Out Act, qui interdit l’exécution judiciaire d’une disposition de non-divulgation ou d’une clause de non-dénigrement adoptée avant que survienne un litige concernant une agression sexuelle ou un cas de harcèlement sexuel en violation du droit fédéral, tribal ou étatique. Les clauses de non-dénigrement limitent généralement ce qu’un employé peut ou ne peut pas dire à propos de son employeur après la cessation d’emploi.
Le gouvernement du Royaume-Uni s’apprête à modifier l’article 22 de son projet de loi sur les droits en matière d’emploi. Cet important virage de la part du gouvernement est en grande partie dû à la campagne publique menée depuis plusieurs années par Zelda Perkins. cofondatrice de l’organisme Can’t Buy My Silence, qui a été la première personne à rompre son accord de non-divulgation visant à dissimuler les actes répréhensibles d’Harvey Weinstein et de ses sociétés. Pour ceux d’entre vous qui ont vu le film Elle a dit, sorti récemment, je vous informe que Zelda y figure.
Comme l’indique le quotidien The Guardian, après l’annonce du gouvernement du Royaume-Uni, Zelda a affirmé :
[…] pendant des années, nous avons entendu des promesses creuses de la part des gouvernements, tandis que les victimes continuaient d’être réduites au silence.
Le fait que le gouvernement reconnaisse la nécessité d’une réforme juridique à l’échelle nationale démontre qu’il a écouté et qu’il a pris conscience des abus de pouvoir qui ont eu lieu.
Avant tout, cette victoire revient aux personnes qui ont enfreint leur accord de confidentialité et qui ont pris le risque de révéler la vérité alors qu’on leur avait demandé de ne pas le faire. Sans leur courage, rien de tout cela ne serait possible.
Par ailleurs, la loi irlandaise de 2024 sur la protection de la maternité, l’égalité en matière d’emploi et la conservation de certains documents est en voie d’être adoptée, tout comme le projet de loi australien de 2025 sur la restriction des accords de non-divulgation en cas de harcèlement sexuel au travail, récemment présenté dans l’État de Victoria et adopté par le Conseil législatif il y a quelques jours, le 20 novembre.
Au Canada, l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard a adopté en 2022 la loi sur les accords de non-divulgation, la première loi au Canada à restreindre l’utilisation des accords de non-divulgation dans les cas de harcèlement et de discrimination. Ma province, le Manitoba, et la Nouvelle-Écosse ont présenté des projets de loi similaires en 2022. La Saskatchewan en a présenté un en 2023, mais aucun de ces projets de loi n’est encore entré en vigueur.
L’Ontario a adopté le projet de loi 26, Loi de 2022 sur le renforcement des établissements postsecondaires et les étudiants, qui restreint l’utilisation des accords de non-divulgation dans certaines situations propres au milieu des études postsecondaires.
En 2023, les membres de l’Association du Barreau canadien ont adopté des résolutions concernant l’utilisation abusive des accords de non-divulgation. Ils ont exhorté le gouvernement fédéral à respecter un engagement international et à améliorer la collecte de données sur les juges et les candidats à la magistrature afin de permettre une analyse intersectionnelle du système judiciaire.
Honorables sénateurs, dans cette enceinte, nous nous efforçons toujours de défendre ce qui est juste. Nous devons utiliser notre pouvoir législatif pour dénoncer l’oppression dont sont victimes les plus vulnérables, qui sont contraints de signer des accords de non-divulgation afin de dissimuler les actes répréhensibles qu’ils ont subis.
Les accords de non-divulgation légitimes sont à la base du fonctionnement du Parlement. Ils ne sont pas ciblés par le projet de loi, tout comme ils ne le sont pas par les lois adoptées ailleurs. Le projet de loi S-232 offre au Canada l’occasion de lutter de manière simple et efficace contre l’utilisation abusive des accords de non-divulgation pour dissimuler des actes répréhensibles commis dans des entités financées par le gouvernement fédéral. Nous pouvons certainement convenir que le gouvernement du Canada ne devrait pas contribuer à aggraver les actes répréhensibles et les préjudices causés par l’utilisation abusive des accords de non-divulgation.
Je vous prie de vous joindre à la vaste campagne publique visant à mettre fin à la protection des organisations et des individus de la sphère fédérale qui abusent de leur pouvoir pour nuire à autrui.
Merci, meegwetch.
L’honorable Bernadette Clement : La sénatrice McPhedran accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice McPhedran : Oui.
La sénatrice Clement : Je vous remercie. Dans ma carrière d’avocate, depuis quelques dizaines d’années, j’ai acquis un peu d’expérience dans le domaine des accords de non-divulgation.
Pourriez-vous nous en dire plus sur les données dont vous disposez comme quoi il s’agirait toujours d’un problème très répandu dans les milieux de travail fédéraux? Les répercussions profondes de ces accords sont de mieux en mieux connues, mais si vous pouviez nous en dire plus sur les données et les faits que vous citez, ce serait utile. Merci.
La sénatrice McPhedran : Merci de votre question, sénatrice Clement. Honnêtement, c’est impossible de savoir précisément dans quelle mesure les accords de non-divulgation servent à camoufler les actes répréhensibles, que ce soit dans l’administration fédérale ou ailleurs. Les sondages pancanadiens réalisés par l’organisme de la société civile Can’t Buy My Silence nous apprennent toutefois que, dans une très grande proportion, plus de la moitié des répondants ont affirmé, comme je le disais dans mon discours — et on parle ici du passé récent, pas de ce qui a pu arriver il y a des années — que non seulement on leur avait déjà imposé un accord de non-divulgation, mais qu’ils en avaient aussi subi des préjudices subséquemment.
Je ne saurais faire un meilleur travail que les personnes qui seront présentes demain matin à 10 heures dans le salon des sénateurs, parce que ces personnes ont choisi de rompre l’accord de non-divulgation qu’elles ont signé et qu’elles sont prêtes à prendre la parole et à raconter comment ces accords ont bouleversé leur vie.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Projet de loi sur le cadre national sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale
Deuxième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Ravalia, appuyée par l’honorable sénatrice Ringuette, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-234, Loi concernant un cadre national sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale.
L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-234, Loi concernant un cadre national sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale.
Ce projet de loi est essentiel, car nous sommes tout simplement confrontés à une épidémie qui touche plus d’une génération. Je suis donc reconnaissante au sénateur Ravalia d’avoir présenté ce projet avec sa passion, son expertise et sa compassion habituelles.
Les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale touchent les personnes qui ont été exposées à l’alcool pendant leur développement dans le ventre de leur mère. Dans certains cas, les bébés naissent même avec tous leurs organes saturés d’alcool.
Il va sans dire que ces troubles compromettent le développement physique, y compris la taille, le poids, les traits du visage et différents organes comme les os, les reins ou le cœur. Dans le meilleur des cas, cela mène à une vie entière de souffrances et de gestion de la douleur.
Bien sûr, les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale affectent fondamentalement le cerveau, ce qui se traduit par une altération de l’équilibre, de la motricité, des capacités de communication, de la compréhension, de la parole, de la pensée et de l’apprentissage, c’est-à-dire des compétences et des aptitudes essentielles à une qualité de vie normale.
Les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale sont également la cause non génétique la plus fréquente des troubles d’apprentissage. Ils sont souvent associés à un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention, à des troubles d’apprentissage, à la dépression, à l’anxiété, voire à l’autisme, ce qui, dans de nombreux cas, conduit à son tour à diverses formes d’abus de substance.
Cependant, nous en avons encore à apprendre sur le sujet. C’est pourquoi ce projet de loi est si important.
Les problèmes du développement liés aux troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale sont généralement irréversibles. Il est tout simplement impossible de réparer les dommages causés par l’alcool au corps et au cerveau d’un fœtus en développement. Il n’y a donc pas de quantité d’alcool pouvant être consommée sans danger pendant la grossesse.
(1650)
Cependant, voici le défi : les symptômes des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Ces troubles sont complexes. Ils ne sont donc pas toujours faciles à diagnostiquer ou à reconnaître. C’est cette complexité qui pose des défis non seulement à la personne, mais aussi à sa famille et aux professionnels de la santé.
Certains parents ne se rendront peut-être jamais compte que leur enfant est atteint de ces troubles. Certaines futures mères ne savent peut-être pas qu’elles en sont atteintes. De nombreuses femmes boivent pendant les premières semaines de leur grossesse, ne sachant pas qu’elles sont enceintes. Elles sont peut-être aux prises avec une dépendance à l’alcool ou subissent des pressions de leur entourage pour conserver leurs mauvaises habitudes. Il y a même des femmes qui résistent, qui prétendent avoir le droit de boire, de consommer de la drogue ou de fumer — autrement dit, de soumettre leur enfant à naître à cette forme de mauvais traitements.
Peu importe la situation, il n’y a aucun avantage à blâmer les mères biologiques, surtout si elles sont aux prises avec une dépendance. Cette attitude n’aidera pas ceux qui hériteront des résultats.
Ce qui est vraiment triste, c’est que de nombreuses personnes atteintes des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale se retrouvent souvent en prison, dans le système d’aide à l’enfance ou dans la rue. Certaines ne seront tout simplement jamais en mesure de travailler de manière productive ou de subvenir à leurs besoins.
Ce handicap nous touche tous : il prive les enfants dans les salles de classe de temps et d’attention parce que les enseignants sont distraits alors qu’ils essaient de composer avec la situation, ou il entraîne un manque de soins parce que les couloirs et les lits des hôpitaux sont débordés. Bien sûr, les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale peuvent aussi se traduire par une augmentation de la criminalité dans les rues.
Peu importe qui vous êtes, où vous vivez ou d’où vous venez, ces troubles touchent nos vies. On estime qu’environ 4 % de la population générale, soit plus de 1,5 million de Canadiens, sont atteints des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, ce qui représente plus de 45 000 personnes rien que dans ma province. Ces chiffres signifient que les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale sont le principal trouble du développement au pays. On peut donc affirmer sans se tromper qu’il s’agit d’une épidémie.
La sensibilisation et l’éducation sont un début. Il faut également veiller à pouvoir établir un diagnostic précoce et à proposer des mesures d’accompagnement pour atténuer les effets. Ce projet de loi contribuera à faire progresser ces efforts.
Des organismes comme le réseau FASD en Saskatchewan viennent en aide aux personnes atteintes des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. L’ancienne ministre des Services sociaux de la Saskatchewan, June Draude, a accompli un travail remarquable dans ce domaine. C’est une amie, et je l’ai vue à l’œuvre.
Elle a proposé la loi sur la Journée de sensibilisation au syndrome d’alcoolisation fœtale en 2002 et elle a incité la province à investir dans une stratégie visant à sensibiliser la population et à mettre en place des mesures de soutien.
June nous rappelle que si vous buvez une gorgée, un verre ou même une bouteille de vin, votre bébé en boit aussi littéralement une gorgée, un verre ou une bouteille dans les minutes suivantes.
Dans les zones rurales et les réserves des Premières Nations, certaines communautés ont des taux si élevés que cela devient un cercle vicieux. Je le sais, car je vis dans l’une de ces communautés. La maladie se transmet de génération en génération. Les mères sont aux prises avec une dépendance et des enfants qui ne reçoivent jamais de diagnostic. Ces enfants ont ensuite leurs propres enfants tout en luttant contre leurs symptômes ou leur propre dépendance. Nous ne connaissons pas encore toute l’étendue de cet effet multiplicateur, mais nous pouvons clairement voir et constater les ravages qu’il cause dans les petites communautés.
Malgré le travail accompli par des organisations et des dirigeants communautaires comme June, il reste toujours beaucoup à faire. C’est là que le projet de loi du sénateur Ravalia entre en jeu.
Le projet de loi S-234 a été élaboré en collaboration avec le réseau canadien de recherche sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale de façon à garantir que divers professionnels partout au pays soient consultés.
Le sénateur Ravalia nous dit qu’il a trois objectifs : premièrement, établir un cadre national pour l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale; deuxièmement, garantir un accès uniforme aux services de diagnostic, de prévention et de soutien dans toutes les provinces et tous les territoires; et troisièmement, reconnaître les troubles causés par l’alcoolisation fœtale comme une priorité nationale en matière de santé publique et de politique sociale.
Le projet de loi n’empiète pas sur les compétences provinciales et n’impose pas de modes de prestation de services. Il vise plutôt à créer la structure, le leadership et la coordination nécessaires pour soutenir les provinces, les territoires et les gouvernements autochtones d’une manière cohérente, fondée sur des données probantes et empreinte de compassion.
Comme l’a dit le sénateur Ravalia, le projet de loi encourage également la formation obligatoire des prestataires de soins de santé, des éducateurs et des travailleurs de première ligne, afin que la prévention ne soit pas seulement une affiche sur un mur, mais qu’elle fasse partie de la pratique quotidienne.
Ce projet de loi encourage la création de cliniques de diagnostic des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale dans tout le Canada, en particulier dans les régions mal servies, notamment les communautés rurales, éloignées et du Nord et les Premières Nations. Il préconise la mise en place d’équipes de diagnostic interdisciplinaires comprenant des médecins, des psychologues, des ergothérapeutes, des orthophonistes et des travailleurs sociaux.
Le sénateur Ravalia a soulevé l’importance du diagnostic, car c’est la porte d’entrée vers l’intervention et la prévention pour les générations futures. Sans lui, les familles sont laissées à elles-mêmes pour naviguer dans un système complexe et, souvent, on les blâme pour le comportement de leur enfant plutôt que de les aider à le gérer.
De plus, les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale ne s’arrêtent pas à l’enfance. C’est une condition qui dure toute la vie; pourtant peu de programmes sont conçus pour soutenir les adolescents et les adultes.
Je pense que ce projet de loi est très important, car il vise à inciter les gouvernements à adopter une approche plus intelligente à l’égard des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, notamment en exigeant la collaboration entre les ministères fédéraux
Je soutiens sans réserve les efforts du sénateur Ravalia. J’espère qu’en travaillant ensemble, ce projet de loi franchira toutes les étapes rapidement pour améliorer la vie de nombreuses personnes.
Merci, sénateur Ravalia.
L’honorable Pat Duncan : La sénatrice Wallin accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Wallin : Oui, s’il vous plaît.
La sénatrice Duncan : Sénatrice Wallin, comme vous le savez, j’appuie également le projet de loi. Vous avez indiqué que la Saskatchewan réalise une campagne de sensibilisation au trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Je me demande si celle-ci comprend une journée de sensibilisation précise. L’initiative du Yukon consistait à désigner le neuvième jour du neuvième mois Journée de sensibilisation au trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Je me demande si la Saskatchewan a choisi la même journée.
La sénatrice Wallin : Je n’en suis pas sûre, mais ce n’est pas ce dont je me souviens.
Je me souviens que la campagne était axée sur des activités : on organisait des activités de formation et de sensibilisation dans différentes collectivités à différents moments et selon les besoins, je crois. June Droude, dont j’ai parlé tout à l’heure, était la ministre responsable à l’époque, mais elle a poursuivi ses activités même après avoir quitté le gouvernement. Je pense que c’est ainsi que la campagne a été organisée, mais je n’en suis pas totalement sûre.
La sénatrice Duncan : Merci. Nous pourrions inclure une journée de sensibilisation précise ou une initiative de sensibilisation dans le cadre des discussions sur le projet de loi.
Merci.
La sénatrice Wallin : C’est une bonne idée.
L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole en tant que porte-parole bienveillante du projet de loi S-234, Loi concernant un cadre national sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale.
Je tiens tout d’abord à remercier mon cher ami et collègue le sénateur Ravalia pour son leadership soutenu dans ce dossier. Grâce à son action compatissante et soutenue, le sénateur Ravalia a une fois de plus attiré notre attention sur un problème qui touche plus de Canadiens que la plupart des gens ne le pensent.
Au cours de la dernière législature, de nombreux sénateurs de tous les groupes et caucus sont intervenus sur ce sujet avec beaucoup de lucidité et de conviction. Je les remercie tous. Je remercie le sénateur Ravalia des efforts qu’il déploie pour que cet important travail se poursuive.
Les sénateurs qui se sont exprimés sur ce projet de loi ont défini de façon détaillée ce que sont les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale et ont décrit leurs effets. Ces troubles, qui sont des troubles neurodéveloppementaux permanents résultant d’une exposition prénatale à l’alcool, ont des répercussions sur le développement du cerveau, l’apprentissage, la mémoire, le jugement, le traitement sensoriel, la régulation émotionnelle, les fonctions exécutives et la santé physique. On les décrit souvent comme des troubles cachés, non pas parce que leurs répercussions sont minimes, mais parce qu’elles sont souvent mal comprises ou mal diagnostiquées.
Ces troubles sont également plus fréquents que beaucoup ne le pensent. Les meilleures recherches disponibles, y compris les estimations mentionnées dans la version précédente de ce projet de loi, suggèrent qu’au moins 4 % des Canadiens pourraient être atteints de troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale.
Cependant, malgré cette prévalence, le soutien aux personnes et aux familles varie encore beaucoup en fonction de la région géographique. Certaines régions disposent de cliniques de diagnostic spécialisées, d’autres non. De nombreuses collectivités ne disposent d’aucun service dédié.
Les familles touchées par les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale disent systématiquement qu’il est difficile de s’y retrouver dans des systèmes déconnectés et qu’elles ne savent pas si elles auront accès aux aides appropriées au moment où elles en auront besoin. Il ne s’agit pas simplement d’une lacune dans les services. Il s’agit d’une lacune en matière de droits de la personne. Ainsi, le projet de loi S-234 n’est pas seulement une proposition politique, mais un test qui permettra de déterminer si nous sommes sincères quand nous parlons des droits de la personne dans notre pays.
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Nous avons signé des conventions internationales qui garantissent à toute personne handicapée le droit à une intervention précoce, à des mesures de soutien accessibles et à une pleine participation à la société. Or, en l’absence de structure, les droits perdent leur sens, et dans le cas des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, le Canada n’a jamais mis en place cette structure. Ce sont plutôt les familles qui ont assumé le fardeau, et le plus souvent, elles sont seules, manquent de ressources et ne sont pas entendues.
Le projet de loi permet de changer la donne. Il prévoit la mise en place d’un cadre national définissant des normes, des responsabilités et une coordination réelles. Il exige que le gouvernement fédéral commence à traiter les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale comme une responsabilité nationale. Il préconise l’élaboration de lignes directrices nationales et de pratiques exemplaires en matière de diagnostic, d’intervention, de sensibilisation et de formation pour les professionnels qui interagissent régulièrement avec des personnes atteintes de ces troubles. L’objectif n’est pas d’imposer des programmes uniformes dans toutes les provinces et tous les territoires, mais de créer une structure cohérente qui favorise une meilleure coordination et le partage d’information.
Le projet de loi prévoit également une collaboration constructive avec les communautés autochtones. Depuis des années, ces communautés réclament des mesures de soutien adaptées à leur culture et la reconnaissance des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale comme faisant partie de l’héritage plus large des torts causés par la colonisation. L’adoption du projet de loi est un moyen concret de répondre à ces demandes, plutôt que de se contenter de les répéter.
Nous savons que l’absence de soins coordonnés a créé des difficultés qui auraient pu être évitées : des enfants qui ne bénéficient pas d’un diagnostic précoce, des jeunes qui passent entre les mailles du filet à l’école, des adultes qui ont des démêlés avec la justice parce qu’on ne les a pas aidés. Il s’agit là de préjudices évitables, et la prévention des préjudices est la norme minimale pour tout pays qui respecte les droits.
Cette mesure législative n’est pas symbolique. Elle est pratique et moralement nécessaire, et elle n’a que trop tardé. Elle nous donne les outils nécessaires pour tenir les engagements que nous avons déjà pris. Elle nous donne les outils nécessaires pour tenir la promesse simple mais forte selon laquelle le handicap ne devrait jamais déterminer qui une personne peut être et comment elle peut contribuer à la société.
Chers collègues, le projet de loi S-234 est l’occasion de mettre fin à la gestion fragmentaire des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale et de passer à leur prise en charge cohérente. Il propose une approche pratique et collaborative pour améliorer la compréhension des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale et leur prise en charge au Canada. Il établit un processus pour recueillir de meilleurs renseignements, renforcer la coordination et trouver des moyens de rendre les aides plus cohérentes pour les personnes et les familles dans tout le pays.
Honorables collègues, je vous encourage à appuyer le projet de loi S-234 à l’étape de la deuxième lecture pour qu’il puisse faire l’objet de l’étude détaillée qu’il mérite. Merci.
Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Renvoi au comité
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Ravalia, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)
La Loi sur la concurrence
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Marty Klyne propose que le projet de loi S-239, Loi modifiant la Loi sur la concurrence, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, j’étais censé promettre de parler pendant 45 minutes ou moins, mais j’ai promis 29 minutes au sénateur Manning.
Je prends la parole en tant que parrain du projet de loi S-239, Loi sur la prospérité canadienne. Il s’agit d’une nouvelle mesure législative visant à améliorer le commerce intérieur au Canada grâce à des modifications à la Loi sur la concurrence. Le projet de loi a pour objectif de contribuer à la baisse des prix, à l’élargissement du choix de biens et de services, à une croissance accrue de l’emploi et à l’augmentation de la productivité et de la prospérité pour les Canadiens. Il s’agit d’une mesure législative favorable aux consommateurs et aux entreprises qui peut contribuer à stimuler l’investissement et l’innovation partout au pays.
Plus précisément, le projet de loi habilitera un organisme spécialisé et indépendant, le Bureau de la concurrence, à formuler des recommandations visant à réduire les obstacles au commerce intérieur, tels que les réglementations inutilement anticoncurrentielles. Cette modification renforcera le mandat actuel du bureau, prévu à l’article 10.1 de la Loi sur la concurrence, qui consiste à mener, dans l’intérêt public, des enquêtes sur l’état de la concurrence dans un marché ou un secteur d’activité.
De plus, le projet de loi exigera que le gouvernement fédéral donne suite aux recommandations du bureau concernant la réduction des obstacles fédéraux au commerce intérieur dans un délai de 120 jours. Il encouragera également — sans toutefois l’exiger — les autorités provinciales, territoriales et municipales à faire de même en ce qui concerne la réduction des obstacles au commerce intérieur dans les limites de leurs compétences. Cette approche respecte le fédéralisme tout en contribuant à bâtir une économie canadienne plus compétitive et plus cohésive. Ces deux dernières mesures répondent à une demande formulée par le Bureau en 2023.
Je vais aborder cinq sujets aujourd’hui : premièrement, l’inspiration et le contexte de ce projet de loi; deuxièmement, les voix à l’appui de ce projet de loi; troisièmement, quelques mots sur le droit de la concurrence au Canada; quatrièmement, les détails du projet de loi; et cinquièmement, deux exemples illustrant comment ce projet de loi peut contribuer à améliorer le commerce intérieur.
Tout d’abord, l’inspiration. Pendant la pandémie, j’ai eu l’honneur de contribuer aux travaux du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité. Il s’agissait d’un groupe de travail composé de 12 sénateurs de toutes les affiliations, dirigé par le sénateur Harder. Notre objectif était d’élaborer des idées de politiques publiques visant à assurer la prospérité future des Canadiens. Plus de 70 dirigeants et experts éminents ont contribué à notre étude et répondu à nos questions.
Deux recommandations clés du rapport de 2021 du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité consistaient à supprimer les obstacles au commerce entre les provinces et les territoires et à réduire le fardeau réglementaire souvent excessif et redondant du Canada.
En ce qui concerne le commerce intérieur, notre rapport citait un document de travail de 2019 du Fonds monétaire international estimant que l’élimination des obstacles au commerce intérieur au Canada pourrait augmenter notre PIB de 3,8 %. Un document publié en 2022 par l’Institut MacDonald-Laurier, rédigé par Trevor Tombe et Ryan Manucha, a révélé que le gain à long terme pour le PIB pourrait atteindre 7,9 %, soit jusqu’à 200 milliards de dollars par an, ou l’équivalent de 5 100 $ par personne. Pour mettre les choses en perspective, cela représente suffisamment d’argent pour effacer plusieurs fois le déficit fédéral.
En ce qui concerne la deuxième recommandation du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité, qui vise à réduire les réglementations excessives, notre rapport souligne que le fardeau réglementaire du Canada est l’une des principales raisons pour lesquelles le pays occupe une place peu enviable dans le classement du rapport Doing Business 2020 de la Banque mondiale. En matière de facilité de faire des affaires, le Canada se classe vingt-troisième sur 190 pays. Le commissaire de la concurrence, Matthew Boswell, a souligné que l’Australie a atteint une croissance de 2,5 % de son PIB en 10 ans en appliquant une optique concurrentielle aux secteurs réglementés de l’économie.
Dans le cadre des travaux du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité, le sénateur Harder nous a incités à réfléchir non seulement aux objectifs de prospérité que devrait se fixer le Canada, mais aussi, et c’est tout aussi important, à la manière d’y parvenir. Comme je vais l’expliquer, ce projet de loi porte sur la manière d’y parvenir. Vous comprendrez en fin de compte pourquoi lorsque j’aurai terminé.
Je passe maintenant à notre contexte actuel. Alors que l’économie canadienne est menacée par un régime tarifaire imprévisible, le commerce intérieur et la concurrence revêtent une importance renouvelée. La bonne nouvelle, c’est qu’en mars, les premiers ministres du Canada ont pris conjointement les devants. Voici ce qu’on peut lire dans leur déclaration :
Les premiers ministres ont convenu de poursuivre leur collaboration pendant la mise en œuvre de leur plan commun visant à renforcer le commerce intérieur au Canada. L’Équipe Canada demeure inébranlable, unie et déterminée, prête à relever ce défi et tout autre qui se dressera sur sa route.
Depuis, les premiers ministres ont accompli de grands progrès pour améliorer le commerce intérieur. En juin, le Parlement a adopté la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada dans le cadre du projet de loi C-5 présenté par le gouvernement. En juillet, l’Ontario a signé le dernier des protocoles d’entente avec toutes les provinces et tous les territoires afin d’éliminer les obstacles au commerce intérieur. Toujours en juillet, neuf provinces et un territoire ont signé un accord qui permettra la vente interprovinciale directe d’alcool aux consommateurs d’ici le printemps prochain. En septembre, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il éliminerait les obstacles interprovinciaux pour les travailleurs des professions réglementées, leur permettant ainsi une plus grande mobilité dans leur recherche d’emploi au pays. La semaine dernière, le gouvernement fédéral et la totalité des provinces et des territoires ont signé un accord visant à éliminer les obstacles au commerce interprovincial pour de nombreux produits, à l’exception des produits alimentaires et de l’alcool, à compter du mois de décembre.
(1710)
Le gouvernement fédéral a également pris l’initiative de bâtir une économie plus concurrentielle. Le budget comprend un plan pour améliorer la productivité, une nouvelle stratégie industrielle, des mesures visant à accroître la concurrence dans les secteurs des télécommunications et des services bancaires, ainsi que des restrictions proposées sur l’utilisation des accords de non-concurrence dans les secteurs réglementés par le gouvernement fédéral.
Dans ce contexte, et pour revenir à ce projet de loi, la Loi sur la prospérité du Canada renforcera les efforts de coopération des premiers ministres visant à améliorer le commerce intérieur. Le projet de loi S-239 favorisera l’établissement d’une feuille de route pour ces efforts grâce à l’expertise économique et juridique indépendante et éprouvée du Bureau de la concurrence.
De plus, les études et les conseils du bureau peuvent favoriser les efforts déployés dans une province ou un territoire pour réduire la réglementation anticoncurrentielle inutile, qui entrave également le commerce intérieur. Soyons clairs : il ne s’agit pas de remettre en question l’intérêt public de la réglementation, mais plutôt de réglementer de manière plus intelligente et plus efficace en favorisant la concurrence. Les Canadiens de partout au pays ont tout à gagner d’une concurrence accrue, surtout sous la forme de prix plus bas.
Au Canada, les secteurs réglementés comprennent les services professionnels, la vente d’alcool, les marchés publics, les télécommunications et l’aviation. Il ne fait aucun doute que les consommateurs canadiens peuvent voir matière à amélioration dans ces secteurs et dans d’autres.
Chers collègues, le projet de loi ne réinvente pas la roue. Comme je l’ai dit, le Bureau de la concurrence mène déjà des enquêtes sectorielles et des études de marché et formule des recommandations visant à accroître la concurrence. Depuis 2015, le bureau a présenté 90 mémoires aux organismes de réglementation, aux décideurs fédéraux et provinciaux et à d’autres intervenants du genre sur les moyens de réduire les obstacles à la concurrence. Depuis 2008, le bureau a publié 10 rapports à la suite d’études de marché dans lesquels il cerne des problèmes concernant la question de la concurrence et propose des solutions possibles. Par exemple, le bureau a réalisé une étude sur I’industrie du transport aérien en juin, et une autre est en cours sur le financement des PME.
Dans le prolongement de ces activités, les modifications prévues dans le projet de loi S-239 rendront les études et les avis du bureau plus efficaces, ce qui aidera notre fédération à bâtir une économie canadienne unique et plus forte. Je rappelle les modifications prévues : renforcer le mandat du bureau pour ce qui est d’étudier le commerce intérieur et les réglementations excessives et de fournir des conseils à ce sujet; obliger le gouvernement fédéral à donner suite aux recommandations du bureau; inciter les administrations provinciales, territoriales et municipales à s’engager dans la même voie.
Ces modifications feront une différence. Grâce à la mise en œuvre de recommandations sensées, l’augmentation du commerce intérieur et de la concurrence se traduira par une augmentation des revenus des Canadiens. Elle créera plus de possibilités pour les travailleurs, les investisseurs et les entrepreneurs. Elle se traduira par une augmentation des recettes fiscales qui peuvent servir à financer la santé, l’éducation, les infrastructures, la défense, la réduction du déficit et d’autres priorités. À terme, elle pourrait même permettre des réductions d’impôts.
Bref, le projet de loi S-239 peut contribuer à améliorer la prospérité au Canada puisqu’il permettrait de tirer un meilleur parti du Bureau de la concurrence en utilisant les ressources existantes, sans coût supplémentaire pour les contribuables. Peut-être que l’urgence économique actuelle est une raison suffisante pour agir rapidement.
J’en viens maintenant à mon deuxième sujet, soit les voix qui appuient ce projet de loi. Chers collègues, je suis conscient qu’aux oreilles de certains, le droit de la concurrence n’est pas très rock and roll. Mais quand les affaires roulent, tout roule.
Je suis honoré que le projet de loi soit appuyé par Lawson Hunter. Cet homme a occupé le poste de commissaire du Bureau de la concurrence de 1981 à 1985. Surnommé le « doyen des avocats spécialisés en droit de la concurrence », M. Hunter a joué un rôle déterminant dans la rédaction de la Loi sur la concurrence et il est récipiendaire de l’Ordre du Canada. Pour appuyer le projet de loi, M. Hunter nous a dit ceci :
Alors que le système commercial mondial devient de plus en plus protectionniste, il sera essentiel que la concurrence intérieure demeure ou devienne vigoureusement compétitive [...] Le Bureau de la concurrence devrait jouer un rôle plus important et plus visible pour veiller à ce que les gouvernements et le secteur privé ne restreignent pas artificiellement la concurrence.
Je suis également honoré que le projet de loi soit appuyé par Sheridan Scott, qui a occupé le poste de commissaire de la concurrence de 2004 à 2009. Mme Scott nous a dit ceci :
Ce projet de loi donnera au Bureau de la concurrence de nouveaux outils importants pour encourager la concurrence au profit des consommateurs et des entreprises du Canada [...] En cette période critique, il est essentiel d’éliminer tout ce qui fait inutilement obstacle à la vigueur de l’économie canadienne.
Ryan Manucha, dont j’ai parlé tout à l’heure, est un expert en commerce intérieur à l’Institut C.D. Howe. Il a dit ceci :
Le fait de lier explicitement la politique de concurrence à la réforme du commerce intérieur permet au Canada de s’aligner sur les pratiques exemplaires observées sur la scène internationale, notamment en Australie et dans l’Union européenne. Grâce à son expertise approfondie en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et de promotion de l’ouverture des marchés, le Bureau de la concurrence est bien placé pour jouer un rôle clé à cet égard.
Keldon Bester est directeur exécutif du Canadian Anti-Monopoly Project. Il a déclaré ceci :
Le renforcement du commerce intérieur et celui de la politique de concurrence sont des outils essentiels pour lutter contre les oligopoles qui font grimper le coût de la vie au pays et plombent la productivité des Canadiens et Canadiennes. Alors que le Canada cherche à diversifier ses relations commerciales, il est plus important que jamais de pouvoir compter sur de tels outils.
Vass Bednar est directrice générale du Canadian SHIELD Institute. Elle est également coauteure d’un livre publié en 2024, intitulé The Big Fix: How Companies Capture Markets and Harm Canadians. Elle dit :
Les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent jouer un rôle important pour améliorer la concurrence au Canada. Une collaboration plus efficace à l’échelle de la fédération dans le cadre d’une approche pancanadienne — qui considère la concurrence comme un élément essentiel de la stratégie industrielle — peut contribuer à faire en sorte que les marchés soient plus souvent libres et équitables et qu’ils profitent ainsi aux consommateurs. S’engager à réduire les obstacles au commerce intérieur n’est que le début de ce travail.
Je remercie encore une fois le sénateur Harder de son appui à ce projet de loi et du leadership dont il a fait preuve au sein du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité — la source d’inspiration pour ce projet de loi. Je remercie le sénateur Harder d’avoir dit ce qui suit au sujet de ce projet de loi :
Dans son rapport de 2021, le Groupe d’action pour la prospérité exhortait tous les ordres de gouvernement à travailler ensemble afin de libérer le plein potentiel du marché intérieur canadien [...] La Loi sur la prospérité du Canada répond à cet appel en favorisant la responsabilité et la coopération entre les provinces et les territoires. La réduction des barrières commerciales interprovinciales non seulement renforcera notre économie, mais elle créera des possibilités et de la prospérité pour les Canadiens et Canadiennes partout au pays.
Merci également à Jeff Brown, avocat spécialiste du droit de la concurrence, maintenant à la retraite, pour son apport important à ce projet de loi, à son domaine d’expertise et à la prospérité du Canada.
Pour conclure cette partie de mon discours, Matthew Boswell, l’actuel commissaire à la concurrence, s’est exprimé de manière positive sur les objectifs de ce projet de loi lors du Sommet canadien de la concurrence 2025, qui a eu lieu le 1er octobre dernier. Je le cite :
[...] nous devons éliminer les obstacles au commerce intérieur.
Ceux-ci constituent, fondamentalement, des obstacles à la concurrence.
L’environnement réglementaire complexe du Canada crée des obstacles inutiles pour les entreprises et les travailleurs. Nous ne pouvons pas bâtir une économie dynamique si les entreprises sont contraintes de se plier à 13 différents régimes de réglementation dans un même pays.
Agir rapidement pour éliminer ces obstacles et uniformiser les règles à travers le Canada permettra de libérer un potentiel économique important et de créer un marché plus dynamique — un environnement qui facilite la mobilité et la croissance d’un bout à l’autre du pays.
Il a poursuivi :
[...] nous devons favoriser un environnement réglementaire propice à la concurrence.
Tous les ordres de gouvernement (fédéral, provincial, territorial et municipal) doivent s’efforcer d’éliminer les obstacles qui limitent la capacité des petits acteurs à faire concurrence dans notre économie. Une réglementation intelligente devrait encourager l’innovation et l’entrepreneuriat, et non pas enraciner les acteurs dominants.
Je reviens à mon discours pour vous parler du droit de la concurrence, un sujet que tout le monde ne connaît pas.
(1720)
Dans l’histoire économique, les lois sur la concurrence occupent une place centrale. Le droit de la concurrence, qu’on appelle « antitrust » aux États-Unis et parfois « anti-monopole », est une restriction légale du capitalisme qui protège les consommateurs et la libre entreprise. Essentiellement, dans notre contrat social, la concurrence est un bien public garantissant que les avantages du capitalisme profitent à la société. Ces avantages incluent des prix plus bas, un choix plus vaste et de meilleurs produits, ainsi que des occasions d’affaires, d’investissements et d’emplois.
Les économies concurrentielles sont source d’innovation et de prospérité. Les meilleures entreprises rehaussent les normes pour les autres. C’est pourquoi la législation canadienne protège la concurrence. Par exemple, les lois sur la concurrence empêchent, dissuadent et punissent les joueurs dominants, les cartels et les autres acteurs qui se livrent à de nombreuses pratiques commerciales déloyales. Ces pratiques incluent notamment la fixation des prix et d’autres formes de collusion, la commercialisation trompeuse et le rachat de concurrents pour créer un monopole et augmenter les prix.
Le droit de la concurrence dispose également de leviers souples, comme le rôle de consultant indépendant du Bureau de la concurrence, que le présent projet de loi renforce. En vertu du pouvoir en matière de commerce prévu au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, ce domaine du droit de la concurrence relève de la compétence fédérale.
Quant aux origines du droit de la concurrence, à la fin du XIXe siècle, la concentration de la propriété industrielle aux États-Unis entre les mains des requins de la finance constituait un problème majeur. John D. Rockefeller contrôlait le pétrole. Andrew Carnegie contrôlait l’acier. Cornelius Vanderbilt contrôlait les chemins de fer et les navires à vapeur. Jay Gould contrôlait le télégraphe. L’âge d’or était caractérisé par la corruption politique, le lobbying effréné, l’exploitation des travailleurs, le contrôle de l’information et la manipulation boursière. Avec les marchés libres et la démocratie en péril, il fallait faire quelque chose.
En 1889, craignant que la même dynamique ne se produise ici, le Canada a adopté la première loi moderne au monde sur la concurrence, qui s’intitulait la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Dans leur ouvrage The Big Fix, Vass Bednar et Denise Hearn disent ceci :
La force derrière cette loi canadienne de 1889 était Nathaniel Clarke Wallace, qui se décrivait comme un démanteleur de trusts, et qui était le président conservateur d’un comité parlementaire chargé d’enquêter sur les monopoles. La loi en question s’attaquait aux regroupements d’entreprises qui fixaient injustement les prix ou s’associaient pour agir comme des cartels [...]
L’adoption de cette loi fut importante, même si elle finit par être édulcorée par le Sénat.
Sénateurs, après 136 ans, la rédemption est à portée de main.
S’attaquant aux requins de la finance, les États-Unis ont emboîté le pas au Canada avec la Sherman Anti-Trust Act en 1890. Ces dernières années, la concentration du pouvoir de marché dans le secteur technologique a ravivé l’intérêt pour le droit de la concurrence.
Au Canada, en 1985, le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney a promulgué la Loi sur la concurrence en vigueur aujourd’hui. Cette loi a fait l’objet d’importantes mises à jour ces dernières années. Parmi celles-ci, notons l’ajout de pouvoirs concernant la collecte d’informations pour les études de marché au moyen du projet de loi C-56, un projet de loi du gouvernement de 2023. Le Sénat a adopté ce projet de loi à l’unanimité en moins d’une semaine.
À l’instar des sénateurs, le premier ministre Carney aussi s’intéresse à la concurrence. Dans son livre, Values, il a écrit ceci :
Le cycle des nouvelles entreprises et des nouvelles idées qui supplantent les anciennes est au cœur de l’économie de marché, mais le dynamisme ne s’autoperpétue pas. Les pays doivent jalousement préserver les conditions qui le favorisent et s’évertuer à les entretenir [...]
Plus une économie est décentralisée, plus elle peut être dynamique et, par définition, plus les leaders des secteurs économiques changent à mesure que de nouvelles idées intéressantes arrivent sur le marché. À l’inverse, la concentration conduit à la recherche de rente et à des efforts pour consolider les avantages existants [...]
Une vigilance perpétuelle au nom de la concurrence est essentielle. L’avenir sera façonné par des entrepreneurs que nous ne connaissons pas encore.
Chers collègues, alors que j’achève cette partie consacrée à l’histoire du droit de la concurrence, vos expressions me font comprendre que la concision est le meilleur moyen de faire passer un message. J’avais promis de ne pas utiliser mes 45 minutes. J’avais également promis 29 minutes au sénateur Manning, et je suis un homme de parole.
Par conséquent, comme j’arrive à la 20e minute, je vais couvrir rapidement mes deux derniers sujets.
Le quatrième sujet concerne les détails du projet de loi S-239. Il s’agit d’un sujet simple, car le projet de loi ne compte qu’un peu plus de deux pages. Comme je l’ai mentionné, le projet de loi apporte trois modifications mineures, mais importantes, à la Loi sur la concurrence. La lecture de ce projet de loi ne sera pas fastidieuse, car il ne fait que deux pages.
Tout d’abord, le projet de loi renforce le mandat actuel du Bureau de la concurrence au titre de l’article 10.1 de la Loi sur la concurrence, qui consiste à mener des enquêtes sur l’état de la concurrence dans un marché ou un secteur d’activité dans l’intérêt public. Plus précisément, le projet de loi habiliterait le commissaire de la concurrence à formuler des recommandations aux institutions fédérales, provinciales, territoriales ou municipales au sujet :
[...] de toute entrave au commerce intérieur au Canada — y compris une loi, un règlement, une règle, une ordonnance ou un règlement administratif — qui, à son avis, a une incidence indue sur l’état de concurrence dans le marché ou l’industrie visés par l’enquête ou dans un marché ou une industrie connexes au Canada.
Comme je l’ai mentionné, nous ne réinventons pas la roue. Le Bureau de la concurrence peut déjà mener des études et formuler des recommandations en vertu de l’article 10.1. Toutefois, cette modification renforcera le mandat du commissaire et du Bureau afin qu’ils se concentrent davantage sur les questions relatives au commerce intérieur et aux règlements excessifs.
La deuxième modification apportée par le projet de loi consiste à exiger du gouvernement fédéral qu’il réponde dans un délai de 120 jours aux recommandations du Bureau concernant la réduction des obstacles fédéraux au commerce intérieur, y compris les règlements excessifs.
Comme les sénateurs le savent, exiger ou demander des réponses du gouvernement est un mécanisme de reddition de comptes raisonnable qu’on trouve couramment dans les lois et dans le cadre des travaux parlementaires. En ce qui concerne le délai de 120 jours pour les réponses du gouvernement, ce projet de loi s’inspire de trois lois fédérales récentes : la Loi sur la stratégie nationale sur le logement de 2019, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité de 2021 et la Loi canadienne sur les emplois durables de 2024.
De plus, le projet de loi encourage ou invite les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que les administrations municipales à répondre aux recommandations du bureau en ce qui concerne la réduction des entraves au commerce intérieur sur leur territoire respectif.
Plus précisément, le projet de loi prévoit que le responsable d’une institution provinciale, territoriale ou municipale peut répondre à toute recommandation présentée à l’institution dans un délai de 120 jours. Il exige que le commissaire publie la réponse — ou, en l’absence de réponse, un avis en ce sens — sur un site Web accessible au public.
Dans le projet de loi, le terme « responsable d’institution » désigne le ministre fédéral, provincial ou territorial concerné, le fonctionnaire municipal en chef ou, dans le cas des sociétés d’État, le premier dirigeant de l’institution.
Les mesures du projet de loi relatives aux recommandations répondent à une demande formulée par le Bureau de la concurrence en 2023 dans son mémoire au gouvernement sur l’avenir de la politique de la concurrence au Canada. Le bureau a souligné que l’absence d’obligation pour les organismes concernés de répondre aux recommandations du bureau est une lacune importante dans la boîte à outils de la politique de concurrence du Canada. Le bureau a affirmé ceci :
Bien que toute recommandation du Bureau découlant des études de marché soit non contraignante, le régime devrait exiger des entités gouvernementales visées par les recommandations du Bureau qu’elles fournissent une réponse publique dans un délai raisonnable après la publication du rapport. Une telle exigence pourrait, si nécessaire, être limitée aux recommandations destinées aux entités du gouvernement fédéral.
Il poursuit en disant :
Dans la mesure du possible, les organismes de réglementation et autres organismes gouvernementaux concernés devraient être tenus de répondre aux recommandations du Bureau dans un délai raisonnable.
Comme je l’ai dit, l’obligation de répondre prévue dans ce projet de loi est limitée au gouvernement fédéral. Cependant, on y encourage également les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux à répondre.
Sur ce point, je suis conscient et vigilant quant aux limites de la compétence fédérale, en ce sens que je ne cherche pas à exercer un contrôle sur les institutions non fédérales. Toutes les compétences doivent être respectées, et ce projet de loi ne permettra pas au Bureau de la concurrence d’imposer des changements à qui que ce soit.
Au contraire, avec ce projet de loi, nous recherchons un échange d’idées constructif et un effort de coopération, en tirant parti de l’expertise économique et juridique du Bureau de la concurrence en tant que ressource canadienne commune, dotée d’une crédibilité et d’un savoir-faire exceptionnels.
Parallèlement, il est sensé inclure dans le projet de loi un libellé indiquant que tous les marchés canadiens — et toute la réglementation canadienne, y compris la réglementation provinciale — peuvent jouer un rôle dans l’accroissement de la prospérité du Canada. Si nous tentons de favoriser le commerce et la concurrence intérieurs sans tenir compte du grand potentiel des provinces à ce chapitre, nous n’irons pas très loin. Créer un environnement concurrentiel dynamique est d’une importance nationale, mais il faut un effort coordonné pour y parvenir.
Favoriser le commerce intérieur est un effort d’équipe canadien, et toute l’équipe doit avancer dans la même direction. Heureusement, c’est le cas. C’est au premier ministre du Canada et aux premiers ministres provinciaux que revient le mérite et, comme ils se sont entendus sur l’objectif, le projet de loi est là pour définir la façon de l’atteindre. Ces deux volets sont tout à fait complémentaires. Je suis certain que vous comprenez pourquoi et que vous comprenez ce que cela représente pour les Canadiens que nous sommes.
(1730)
Sur cette note, pour conclure, permettez-moi de vous donner deux exemples concrets de l’effet de ce projet de loi pour améliorer le commerce intérieur et la concurrence.
En juin, le Bureau de la concurrence a publié son étude de marché sur la concurrence dans l’industrie du transport aérien au Canada. Le rapport recommandait d’accroître les possibilités d’investissement étranger afin de renforcer la concurrence. À mon humble avis, cela pourrait avoir une incidence sur la qualité, la disponibilité et le prix du transport aérien de passagers au Canada. Ajoutons qu’un service aérien inadéquat peut constituer un obstacle au commerce intérieur puisqu’il a une incidence sur le tourisme, la mobilité de la main-d’œuvre, les investissements commerciaux dans les régions mal desservies, et ainsi de suite.
Le gouvernement fédéral a fait quelques commentaires au sujet de cette recommandation. Toutefois, si le projet de loi S-239 avait été adopté, il aurait été tenu de répondre officiellement aux recommandations dans un délai de 120 jours, pendant que le sujet retenait encore l’attention du public, à la suite de la publication du rapport. Dans la situation actuelle, toutefois, 159 jours se sont déjà écoulés sans réponse officielle et sans obligation d’en fournir une.
Bien sûr, le temps qui passe atténue l’intérêt du public et des médias pour les rapports de ce genre. Cela donne peut-être à certains lobbyistes l’occasion de promouvoir des idées qui vont à l’encontre d’une augmentation de la concurrence et d’une baisse des prix. Il serait donc préférable d’exiger une réponse rapide, qui pourrait aussi entraîner des changements de politique.
Voilà un exemple au fédéral. Du côté provincial, le Canada est tristement célèbre pour ses obstacles interprovinciaux à la vente d’alcool. J’ai mentionné que les premiers ministres des provinces faisaient des progrès. En juillet, neuf provinces et un territoire ont signé un accord qui permettra la vente directe d’alcool aux consommateurs dès le printemps prochain.
Cependant, chers collègues, qu’en est-il de la vente au détail? Où se trouvent les vins de la Colombie-Britannique dans les succursales de la LCBO? Dans le National Post du 6 octobre, John Ivison écrivait ceci :
Même si la [vente directe aux consommateurs] entre en vigueur l’an prochain, cela ne résoudra pas le problème plus important de l’accès aux vins des autres provinces dans les magasins d’alcool.
Depuis des années, les États-Unis ont mis en place un système entre États [de vente directe aux consommateurs], qui ne représente que 8 % des ventes.
Une véritable réduction des obstacles commerciaux interprovinciaux permettrait aux magasins d’alcool provinciaux d’aménager des allées de produits canadiens, avec une place prépondérante pour les vins provenant des autres provinces.
M. Ivison souligne que le Canada est l’un des seuls pays au monde à ne pas autoriser la distribution de vin dans ses différentes régions. Un viticulteur de la Colombie-Britannique paie moins cher pour expédier une bouteille de pinot noir en Corée du Sud ou en Italie qu’en Ontario, au Québec ou dans les provinces de l’Atlantique. En fait, pour que le vin de la Colombie-Britannique soit vendu dans les succursales de la LCBO de l’Ontario ou dans la SAQ du Québec, un viticulteur de la Colombie-Britannique doit payer des majorations de 71 % et 130 % respectivement.
Le 10 novembre, un rapport de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante indiquait que « des obstacles plus larges et profondément enracinés continuent de freiner la croissance, l’innovation et la concurrence en matière de commerce intérieur de boissons alcoolisées au Canada ».
Si le projet de loi S-239 est adopté et si le Bureau de la concurrence fait des recommandations visant l’élimination de tels obstacles au commerce intérieur, les gouvernements provinciaux seront encouragés et invités à répondre, peut-être avec une certaine attente du public en matière d’engagement, compte tenu des avantages potentiels pour les consommateurs, c’est-à-dire leurs concitoyens.
En conclusion, le projet de loi sur la prospérité du Canada ne coûte rien et a le potentiel de contribuer à faire baisser les prix pour les Canadiens et à augmenter le PIB du pays. Qu’est-ce qu’on attend? Appuyons le leadership de nos premiers ministres et créons notre propre prospérité.
Pour ma part, alors que notre fédération — nos partenaires fédéraux, provinciaux, territoriaux et autochtones — se serre les coudes pour relever les défis actuels, je n’ai jamais été aussi fier d’être Canadien. C’est pourquoi je présente ce projet de loi en tant que petite contribution, je l’espère, à l’effort économique du pays. Je vous demande de bien vouloir l’appuyer. Merci, hiy kitatamihin.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
La vie de Vernon et Shirley Petten
Interpellation—Fin du débat
L’honorable Fabian Manning, ayant donné préavis le 29 octobre 2025 :
Qu’il attirera l’attention du Sénat sur la vie de Vernon et Shirley Petten.
— Honorables sénateurs :
Il y a de bons navires, des navires en bois, des navires qui sillonnent les mers, mais les meilleurs navires sont les amitiés, et puissent-elles toujours durer.
Avec ce célèbre proverbe irlandais en tête, je suis honoré aujourd’hui d’avoir l’occasion de rendre hommage à Vernon et Shirley Petten, deux de mes très proches amis qui vivent dans le village de pêcheurs historique et pittoresque de Port de Grave, à Terre-Neuve-et-Labrador. On dit souvent qu’on vit dans un monde où on peut être tout ce que l’on veut. Eh bien, Vern et Shirley Petten ont choisi de faire de la foi, de l’humilité, de la gentillesse et de l’amitié les piliers de leur vie, et j’ai eu la chance et le privilège de les avoir tous les deux dans ma vie.
Je souhaite aujourd’hui la bienvenue au Sénat du Canada à plusieurs membres de la famille de Vern et Shirley Petten : leur fils Ross et son épouse Christina, leur fille Ina et son mari Rick, leur fille Ivy et son mari Wayne, leur fille Leverna et son mari Tony, leur petit-fils Jason et son épouse Carolyn, et, bien sûr, la fille de Vern et Shirley, notre collègue la sénatrice Iris Petten.
Je vais commencer par rendre hommage à Vern, que j’ai rencontré pour la première fois lorsque je faisais du porte-à-porte pour obtenir du soutien lors de la campagne électorale fédérale de 2006.
Par une froide matinée de janvier, je me suis rendu à une réunion avec l’autorité portuaire de Port de Grave. Vern était un membre du conseil d’administration de manière bénévole depuis de nombreuses années. Le vent hivernal du nord me glaçait les os, mais j’ai immédiatement été frappé par la chaleur et l’hospitalité de cet homme très gentil et humble. Ce jour-là, je ne me suis pas rendu compte que j’étais en présence d’un homme ordinaire qui avait mené et menait toujours une vie extraordinaire. J’étais aussi loin de me douter que cette matinée marquerait le début d’une amitié sincère et durable.
Vern est né à Port de Grave, le 13 janvier 1935. Il était le fils de Henry et Emmie Petten. Dès son plus jeune âge, Vern a accompagné son père à la pêche et, au cours de sa vie, il a pêché toutes les espèces indigènes des eaux locales, de la toute-puissante morue au majestueux thon rouge.
Au début, la pêche avec son père dans les eaux de Terre-Neuve se limitait principalement à la morue salée, des prises qui rapportaient très peu par rapport au temps et à l’argent investis. Vern m’a raconté qu’ils travaillaient très fort chaque jour et qu’ils arrivaient à joindre les deux bouts, ce qui était difficile à croire en sachant qu’ils pouvaient seulement obtenir deux cents la livre pour leurs prises. Ce serait un euphémisme de dire que les pêcheurs de cette génération étaient la résilience incarnée. Sans aucun doute, ils étaient des hommes de fer dans des navires en bois.
Quand son père a commencé à évoquer la nécessité d’un bateau plus grand, Vern lui a proposé de construire eux-mêmes le nouveau bateau, car le coût d’une telle entreprise était préoccupant. Vern était très jeune à l’époque, et son père était un peu hésitant, mais il a accepté d’essayer, sachant très bien que c’était la seule solution possible à ce moment-là. Ils ont abattu des arbres, transporté les troncs hors de la forêt et construit un superbe bateau de mer qui a servi à la famille pendant des années. C’est pendant la construction de ce premier bateau que Vern a attrapé la piqure de la construction navale. Au cours de sa vie, il a construit 11 palangriers, en a réparé beaucoup d’autres et a finalement atteint le statut de maître constructeur de bateaux. Son souci du détail et la fierté qu’il tirait de son travail sur chaque navire se voyaient clairement chaque jour de mise à l’eau quand le produit fini était lancé sur l’océan Atlantique.
(1740)
Si Vern était sans conteste un homme de la mer, il n’a jamais caché qu’il était aussi un homme de Dieu. L’Église a toujours occupé une place très importante dans la vie de Vern. Il a été membre du conseil d’administration et trésorier de l’Église pentecôtiste de Port de Grave durant plus de 50 ans. Pendant de nombreuses années, il a siégé au conseil d’administration de la société Gideons, où il a aidé à distribuer des bibles dans les écoles et les entreprises de toute la province.
Dans le prolongement de son engagement au sein de l’église qu’il fréquentait, Vern a voyagé dans de nombreuses régions du monde pour apporter son aide, notamment ses talents en menuiserie, aux populations et aux lieux dévastés par des ouragans et autres catastrophes naturelles. Il s’est rendu à Montserrat dans les Antilles en 1990, à Sainte-Lucie et en Zambie en 1991, et en Afrique en 1997. Il n’était pas du genre à se vanter de ses voyages; au contraire, il s’intéressait beaucoup aux cultures originales et uniques qu’il découvrait. Il avait beaucoup d’histoires à raconter sur ses aventures lorsqu’il essayait de construire un bâtiment avec le peu de matériaux disponibles dans la région.
Pendant que Vern et les autres missionnaires étaient dans ces endroits pour effectuer des travaux de construction, ils apportaient des vêtements pour enfants et des fournitures scolaires qui avaient été recueillis par les femmes de leur église. Il s’agissait véritablement d’un effort communautaire. De nombreuses familles de ces régions lointaines ont bénéficié de la générosité bien connue des Terre-Neuviens. Vern était très fier des effets bénéfiques que lui et les autres avaient sur la vie de personnes moins fortunées qu’eux.
Vern était très impliqué dans d’autres aspects de sa communauté et faisait du bénévolat pour plusieurs organismes locaux, comme la Garde côtière auxiliaire canadienne, la société patrimoniale de la péninsule de Port de Grave et le musée local des pêcheurs, pour n’en citer que quelques-uns. Le bénévolat faisait autant partie de la vie de Vern Petten que l’air salin qui entourait sa maison à Port de Grave. Il n’apportait pas son aide pour être reconnu ou honoré; il agissait pour avoir la simple satisfaction et la joie de pouvoir aider les plus démunis.
Le pasteur pentecôtiste KM Bess a très bien résumé la personnalité de Vern quand il a raconté une anecdote qui témoigne de la générosité de l’homme :
Une famille de notre communauté avait besoin d’une maison, parce que celle qu’elle occupait n’était pas adéquate pour affronter l’hiver qui approchait. C’est alors que Vernon s’est porté volontaire en mettant à profit ses talents de menuisier tout l’automne, jour et nuit. Sans beaucoup d’aide, il a construit une maison pour cette famille, des fondations aux armoires de cuisine. Je l’ai vu personnellement y passer du temps chaque jour, y compris la veille de Noël, pour apporter la touche finale à la maison afin que la famille puisse y emménager pour Noël.
Le pasteur Bess a ajouté :
La maison a été achevée [...] et elle se dresse aujourd’hui comme un symbole d’altruisme, grâce à Vernon Petten.
Même s’il n’était pas du genre à rechercher la reconnaissance pour tout ce qu’il avait fait durant sa vie pour rendre notre monde meilleur, nous sommes reconnaissants que d’autres aient remarqué ses actes de gentillesse désintéressés et l’aient mis en nomination pour de nombreux prix prestigieux, qui lui ont été décernés. Vern a notamment reçu la médaille pour service bénévole de Terre-Neuve-et-Labrador en 2001, et il a été intronisé au Temple de la renommée des industries maritimes du magazine Navigator en 2008. Par ailleurs, j’ai eu l’honneur de remettre personnellement à Vern la Médaille du jubilé d’or de la reine en 2002, la Médaille du jubilé de diamant de la reine en 2012, et la Médaille du couronnement du roi Charles III en 2024.
Il est difficile de résumer en quelques mots l’incidence extrêmement positive que Vern Petten a eue sur notre monde, mais ses nombreuses contributions n’auraient pas été possibles sans l’amour et le soutien de son âme sœur, Shirley, son épouse pendant près de 70 ans.
Shirley Badcock est née à Mercer’s Cove, Bay Roberts, le 15 janvier 1936. Lorsque sa mère, Emmie, est morte prématurément, Shirley a dû s’occuper de ses jeunes frères et sœurs. Très tôt dans sa vie, Shirley a développé une solide éthique de travail lorsqu’elle a dû accompagner sa famille dans les zones de pêche du Labrador. Là-bas, elle cuisinait pour l’équipage du bateau et a appris à saler le poisson. Vern Petten a eu le coup de foudre lorsqu’il a rencontré pour la première fois la belle, gentille et compétente Shirley.
Vern et Shirley se sont mariés le 10 novembre 1955 et ils ont vécu une union solide et remplie d’amour qui a duré plus de 69 ans. Shirley a consacré toute sa vie à sa famille et, au début, elle travaillait aux côtés de Vern dans l’industrie de la pêche : sur le quai, elle vidait les morues, les salait, puis les étalait sur les vigneaux.
Shirley était une excellente femme au foyer. Elle était réputée pour ses talents culinaires et pour sa créativité unique et particulière dans la préparation des repas. J’ai eu le plaisir de m’asseoir à la table de cuisine de Vern et de Shirley à Hibbs Cove à de nombreuses reprises. Là, j’ai dégusté de nombreuses tasses de thé, accompagnées d’une brioche maison ou, lors des froids après-midis d’hiver, d’un bol de soupe maison. Cependant, je suis tout à fait d’accord avec Vern sur ce qu’il m’a dit un jour à propos de la cuisine de sa femme. Il m’a dit en souriant : « Fabian, mon garçon, tant que tu n’as pas mangé la morue poêlée de Shirley Petten, tu n’as jamais mangé du bon poisson. » Comment refuser une telle offre? J’ai donc eu le plaisir de déguster à plusieurs reprises un délicieux repas composé de morue, de pommes de terre et de scrunchions. Une fois de plus, Vern avait raison : c’était un festin digne d’un roi.
Je repense souvent aux nombreuses conversations que nous avons eues autour de cette table de cuisine et à tout ce que j’ai appris sur la vie en observant et en écoutant Vern et Shirley.
Bien que Shirley fût une femme discrète et extrêmement humble, c’était une bénévole communautaire hors pair. De nombreux habitants la tenaient en haute estime et on la surnommait respectueusement « tante Shirley » dans toute la collectivité. Si quelqu’un de la ville ou à l’église avait besoin d’aide, un gros chaudron de soupe et plusieurs pains frais faits maison arrivaient de la cuisine de Shirley. Lors des assemblées religieuses, le pasteur invité était souvent hébergé chez Vern et Shirley. C’était une maison que Vern avait construite lui-même et où lui et Shirley avaient élevé leurs six enfants et passé leur vie. À n’importe quel moment, peu importe le nombre de personnes présentes dans leur maison, Vern avait l’habitude de dire : « Il y a toujours de la place pour une personne de plus. »
Shirley a comblé ses enfants d’amour et d’affection, et leur a donné des bases solides en étant un modèle de discrétion et d’humilité. Je peux affirmer avec certitude que Shirley Petten était vraiment unique en son genre.
Dans sa jeunesse, Vern a commencé à tenir un journal manuscrit de ses activités quotidiennes. Doté d’une mémoire infaillible et aidé par ses journaux, Vern a rédigé ses mémoires en 2018 et a intitulé son incroyable histoire Things that Forever Linger in Your Mind. Dans les premières pages de l’ouvrage, on peut lire ces mots de Vern :
La vie est un livre d’histoires
Que l’on écrit jour après jour.
Hier n’est plus qu’un souvenir,
Demain nous attend l’inconnu.
Prépare demain sans détour
Et vis aisément dès ce jour.
Alors les mots de ton histoire
Seront écrit dans l’espoir.
Je suis honoré à la fois d’avoir été mentionné dans le livre de Vern et de posséder mon propre exemplaire dédicacé. Pour moi, il s’agit d’un souvenir précieux d’un homme ordinaire qui a assurément mené une vie extraordinaire. Je suis aussi extrêmement reconnaissant à la famille Petten de m’avoir offert l’une des cravates de Vern, que je porte fièrement ici aujourd’hui, ainsi que son épinglette en forme de morue que j’ai posée à mon revers. Ces deux objets me rappellent un véritable ami.
En arrivant à la fin de cet hommage à Vern et Shirley, je repense à la première fois où j’ai rencontré Vern Petten, en 2006, à Port de Grave. Port de Grave était bien connu dans la sphère politique de Terre-Neuve-et-Labrador comme « un village libéral pur et dur ». Après tout, c’est la ville natale de l’honorable John Efford, un ministre des Pêches bien connu et très actif, tant au provincial qu’au fédéral.
En tant que candidat conservateur, vous comprendrez mon appréhension à faire campagne dans ce bastion libéral. Le bureau de l’administration portuaire de Port de Grave est situé sur une colline rocheuse surplombant un havre majestueux et il comporte un long escalier raide qui mène au quai. Plusieurs de mes collègues de cette Chambre qui ont siégé au Comité des pêches lors de notre étude sur les phoques il y a quelques années ont eu le privilège de visiter Port de Grave, et ils ont tous eu l’occasion de rencontrer Vern. Il a été un hôte idéal.
Après ma première rencontre là-bas en 2006, alors que je quittais le bureau pour descendre les escaliers afin de parler à certains journalistes locaux qui attendaient sur le quai, Vern m’a proposé de m’accompagner. Je venais tout juste de le rencontrer et je lui ai dit en plaisantant : « M. Petten, si vous descendez ces escaliers avec moi, les journalistes vont penser que vous me soutenez dans cette élection. » Sans la moindre hésitation dans la voix, il m’a répondu : « Bien sûr que je vous soutiens, Fabian, parce que vous êtes l’un des nôtres. »
C’était alors, et c’est encore aujourd’hui, un plaisir à entendre. Ce fut le début d’une amitié que je considère vraiment comme l’une des plus grandes bénédictions de ma vie.
Le dimanche 12 janvier dernier, j’étais parmi les centaines de personnes qui se sont réunies dans la salle communautaire du Pentecostal Tabernacle à Port de Grave avec Vern, Shirley et leur famille pour célébrer le 90e anniversaire de Vern, le 13 janvier, et le 89e anniversaire de Shirley, le 15 janvier. Ce fut un moment joyeux, riche en anecdotes et en vœux de bonheur de la part de tous les participants. C’est désormais un autre souvenir précieux.
Deux jours plus tard, le 14 janvier, nous avons appris que Vern avait été victime d’un grave accident vasculaire cérébral et avait été transporté d’urgence à l’hôpital. Malheureusement, Vern est décédé quelques jours plus tard, le jeudi 17 janvier. Il est toujours difficile de croire que notre monde peut changer autant en moins de 48 heures.
(1750)
Shirley Petten n’a pas survécu longtemps à Vern. Environ six semaines plus tard, le jeudi 6 mars, elle a quitté ce monde pour retourner auprès de son mari.
Ayant été témoin de l’amour immense que ces deux personnes formidables avaient l’une pour l’autre, je suis sûr que Vern attendait Shirley aux portes du paradis pour l’accueillir à bras ouverts.
Il y a quelques années, pour la Saint-Valentin, Vern a écrit un poème à Shirley intitulé Un amour éternel :
C’est à nouveau le temps de fêter
La Saint-Valentin, qui n’arrive qu’une fois par année.
C’est le temps de te dire que je t’aime, ma chérie,
Tout comme aux premiers jours, et qu’encore aujourd’hui,
Tu restes ma valentine, l’élue de mon cœur,
De jour en jour, et d’heure en heure,
Car après la Saint-Valentin, l’amour ne s’arrête pas.
Il dure toute l’année encore une fois.
Vern et Shirley laissent un legs dont leur famille et leurs amis peuvent être fiers. Ils ont mené une vie de générosité, de partage et d’amour. Ils représentaient parfaitement ce que c’est que de mener une vie bien remplie, et ils manquent à leur famille et à ceux d’entre nous qui ont eu la chance de les compter parmi leurs amis.
Ils ont achevé leur séjour sur cette terre et ils ont atteint la ligne d’arrivée. Les leçons qu’ils nous ont enseignées, les histoires qu’ils nous ont racontées et l’amour et la gentillesse qu’ils ont partagés resteront à jamais gravés dans nos mémoires. Que leurs âmes paisibles reposent en paix.
Des voix : Bravo!
L’honorable Iris G. Petten : Honorables sénateurs, comme vous pouvez l’imaginer, l’absence de mes parents se fait sentir chaque jour, mais leur présence aussi. Leurs valeurs, leur force, leur humilité et leur sens du devoir font partie intégrante de ma personnalité et de ma façon d’exercer mes fonctions au Sénat.
Vern et Shirley auraient été surpris d’être honorés au Sénat du Canada, car ils n’ont jamais cherché à obtenir une telle attention ni estimé la mériter. Ils travaillaient chaque jour à la sueur de leur front pour subvenir aux besoins de leur famille, et leur souhait était que leurs descendants continuent à travailler dans le secteur de la pêche, dans la province et le pays qui leur avaient permis de vivre dignement.
Comme je l’ai fait jusqu’à présent, je continuerai à incarner leurs meilleures valeurs dans cette enceinte, car en tant que Terre-Neuviens, notre éducation nous a appris à travailler fort, à parler franchement, à rire souvent et, surtout, à nous entraider, en particulier lorsque les temps sont difficiles.
Mes parents m’ont enseigné qu’on ne se met pas au service de ses semblables pour récolter des honneurs, mais parce qu’on a le sens des responsabilités. Ce n’est pas une question de statut, mais plutôt de solidarité avec son voisin. C’est dans cet esprit que je perpétue leur héritage à travers mon travail au Sénat du Canada.
Je remercie mon honorable collègue et ami, le sénateur Manning, de cette interpellation et de son immense gentillesse. Je remercie également les membres de ma famille, qui ont fait un long voyage depuis notre région pour être ici avec moi aujourd’hui. Enfin, je vous remercie, chers collègues, de votre gentillesse et de l’attention que vous m’avez accordée au cours des dernières minutes.
Des voix : Bravo!
(Le débat est terminé.)
(À 17 h 55, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)